[CRITIQUE] En Attendant La Nuit – Faut Assumer

Après une année 2023 marquée par la prolifération de films de genre français tels que Le Règne Animal, Tropic, ou encore le récent Vermines, il est légitime de nourrir de grandes attentes pour cette nouvelle année. Nous pouvons anticiper une résurgence plus prononcée de la part des cinéastes, et particulièrement des producteurs, conscients que ces œuvres ont trouvé leur place au sein de la critique et qu’elles rencontrent un succès croissant au box-office. En effet, le cinéma français, longtemps cantonné aux drames et aux comédies rurales, semble enfin oser se dévoiler un peu plus dans le domaine de l’horreur et du fantastique.

Cette orientation est justifiée par la réalité du public en salles, majoritairement constitué de spectateurs seniors. Bouleverser leurs habitudes cinématographiques en les confrontant à des images de chair déchirée, d’araignées sauvages, ou tout simplement à une atmosphère excessivement sombre, peut s’avérer perturbant. C’est dans cette perspective que se sont révélés des films tels que l’infâme Ogre d’Arnaud Malherbe, ou le très intrigant Teddy des frères Boukherma. Ces derniers, malheureusement, ont déçu avec L’Année du Requin, une production indécise quant à sa nature, oscillant entre le registre de l’horreur à la Jaws et la comédie burlesque.

Cependant, l’année précédente, la consécration de Titane de Julia Ducournau avec la Palme d’Or en 2021 a prouvé le contraire : le public en réclame davantage, car il en raffole, tout en se lassant progressivement des clichés qui gangrènent depuis trop longtemps le cinéma de genre américain. C’est donc avec une certaine impatience que nous accueillons En Attendant La Nuit de Céline Rouzet, qui n’est pas sans évoquer, accessoirement, un film consacré aux vampires.

Nous suivons l’histoire de Philémon, un adolescent atypique dont la survie dépend du sang humain. Dans la paisible banlieue pavillonnaire où il emménage avec sa famille, il s’efforce de se fondre dans le décor, jusqu’à ce qu’il tombe éperdument amoureux de sa voisine, Camila, attirant ainsi l’attention sur eux. Cependant, dès le postulat de départ, plusieurs points suscitent des réserves quant à nos attentes.

Certes, le retour à la campagne ne saurait être qualifié de mal en soi. La France, dotée d’une diversité naturelle exceptionnelle, offre l’un des paysages ruraux les plus pittoresques au monde. Cependant, la problématique réside dans le choix du cadre. Dans Le Règne Animal, Thomas Cailley a su exploiter judicieusement la campagne, en laissant ses mutants mi-animaux, mi-humains trouver refuge dans les forêts, à la fois pour survivre et échapper à la discrimination et à la peur des êtres humains. En revanche, dans En Attendant La Nuit, l’utilisation du cadre de la banlieue pavillonnaire ne semble ni charmante ni pertinente. Bien que l’on puisse présumer qu’il s’agit d’un choix pour dissimuler le secret de Philémon, il est difficile de ne pas percevoir les contraintes budgétaires et scénaristiques qui ont probablement dicté cette décision. Plus décevant encore, le film néglige de tirer profit de ce décor. Certes, on y aperçoit quelques rivières et de la verdure, mais ces éléments ne semblent jamais réellement au service de l’intrigue et sont filmés de manière conventionnelle, ne suscitant guère notre intérêt.

Le plus grand regret réside dans le fait que En Attendant La Nuit ne s’assume même pas en tant que film de vampire. Aucun élément fantastique saillant ne nous permet de reconnaître clairement son genre. La mère, interprétée par la toujours lumineuse Élodie Bouchez, travaille comme infirmière au Don du Sang et vole secrètement des poches pour nourrir son fils. Le père, joué par Jean-Charles Cliquet, exerce en tant qu’assureur et ne semble avoir aucune utilité significative, si ce n’est de maintenir une rivalité fictive avec son fils. La petite sœur, quant à elle, ne représente qu’un soutien affectif naïf pour son frère. La narration se concentre davantage sur les péripéties de la mère, ses vols de poches de sang, et les soupçons de ses collègues, reléguant ainsi les véritables enjeux vampiriques de son fils au second plan. En réalité, ces enjeux ne sont que peu développés, car mis à part une peau pâle et le besoin supposé de consommer une poche de sang par semaine (on ne le sait pas, car on ne nous le montre jamais), il peut aisément se promener le jour, en plein soleil, avec juste un sweat à capuche et n’a pas besoin de cacher ses canines, car elles sont tout a fait normales.

Pire encore, la réalisatrice semble délibérément délaisser ces aspects pour se concentrer sur une énième histoire d’amour entre Philémon et Camila. Il nous faut attendre près de quarante minutes pour enfin assister à une scène où notre “vampire” aspire le sang de Camila, moment où il lutte pour résister à la tentation tout en s’approchant dangereusement de sa victime. Cette scène est suivie du harcèlement par un groupe d’adolescents et de jeunes adultes, qui deviendront les persécuteurs de notre protagoniste dans la seconde moitié du film. L’un de ces persécuteurs est incarné par Louis Peres, qui avait déjà impressionné dans Tropic d’Édouard Salier, mentionné précédemment. Si le cliché du personnage amoureux est compréhensible dans une narration en manque d’idées, celui du harcèlement est tout aussi exploité. Bien qu’il soit louable d’aborder ce sujet, la réalisation d’une scène humiliante et complètement invraisemblable où Philémon est tourmenté par ses agresseurs dans une salle de cinéma pendant la projection de La Nuit des Morts-Vivants de George A. Romero1 relève de l’absurdité. Dans un environnement où le film s’efforce de s’ancre dans le réalisme en évitant tout élément fantastique, cette scène bascule facilement dans le surréalisme. En l’espace de dix minutes, ces agresseurs sont en mesure de changer de place à plusieurs reprises, de fumer des cigarettes, de parler bruyamment, de bousculer d’autres spectateurs pour se rapprocher de leur victime, de lancer du pop-corn, et même de vider un seau géant sur la tête de Philémon, le tout sans qu’aucun membre du public ne réagisse ni que le personnel du cinéma n’intervienne. Cette scène est d’une absurdité totale, bien plus que les pires expériences cinématographiques d’Annabelle ou d’autres Les SEGPA au ski.

L’espoir persiste que toute cette tension aboutisse à un climax évoquant Morse de Tomas Alfredson, où Céline Rouzet se lâcherait enfin pour nous offrir des scènes de découpage de têtes, mais même cette perspective se solde par une déception cuisante. Dans une frustration constante et dans un manque de sang flagrant, Philémon est à deux doigts de basculer dans la monstruosité que l’on pressent. Cependant, il peut compter sur Camila pour devenir la suicidaire consentante que ce vampire humaniste cherchait. C’est donc dans une étreinte quelque peu sensuelle (car, à tout le moins, l’aspect érotique n’a pas été omis par notre réalisatrice) que notre “vampire” se nourrit du cou de son amour. Ses harceleurs, parmi lesquels figure l’ex-petit ami de Camila, surprennent la scène au loin et décident de lui infliger une correction. Nous, en tant que spectateurs, aspirons à voir Philémon satisfaire nos attentes et à le voir se venger. Hélas, cela ne se produit pas, il se contente simplement de mordre le cou d’un de ses agresseurs, les autres prennent la fuite, et la scène s’achève. Même lorsque, quelques minutes plus tard, Philémon tente de mettre fin à ses jours en s’exposant au plein soleil (sans son sweat, bien entendu), Rouzet nous présente des flashbacks en fondu atroce et s’abstient de montrer une explosion de sang. Au lieu de cela, Philémon sombre simplement dans l’inconscience. Un résultat bien peu convaincant, il faut le dire.

En somme, ce long-métrage n’est pas à proprement parler une déception dans le récit qu’il expose. Cependant, il est légitime d’en espérer davantage. Il est crucial de ne pas retomber dans des schémas narratifs convenus. Ce film accomplit un travail honorable, bien que quelque peu conventionnel, et aurait mérité une véritable dose d’ambition. Il est tout de même remarquable de constater que TANDEM, le distributeur de ce film, passe de Vermines, sorti en décembre dernier, à ce “drame campagnard où un enfant atypique doit se cacher.” Il est nécessaire de prendre position et de s’assumer, après tout, c’est dans la différence que l’on devient véritablement unique.

En attendant la nuit de Céline Rouzet, 1h44, avec Élodie Bouchez, Jean-Charles Clichet, Céleste Brunnquell – Au cinéma le 5 juin 2024.


  1. Vous pouvez nous écouter parler du cinéaste et de sa trilogie des morts-vivants ici : https://open.spotify.com/episode/61DwMMlaWJ0iNujEJrll1t?si=229a6d9477d94f61 ↩︎
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