
Grave, il y a 5 ans, a provoqué un renouveau du cinéma de genre en France. De par sa vision féministe du genre, Julia Ducournau parvient à reprendre ses inspirations pour inspirer à ses longs-métrages une identité qui lui est propre. Par contre, malgré ma passion immense pour son premier film qui, à l’époque, était parvenu à susciter ma passion pour le cinéma de genre fantastique et y compris pour David Cronenberg, j’avais des doutes sur Titane. En effet, là où l’idée de découvrir un nouveau film de la réalisatrice était galvanisante durant ces longues années, la première bande-annonce m’intriguait dans les divers sens du terme. D’un côté, les visuels me paraissaient parfaitement travaillés mais de l’autre, je n’arrivais pas à comprendre comment tous ces plans allaient se relier habilement dans un long-métrage de 105 minutes. J’y suis allé en trépignant, sans pour autant être convaincu.

Le « titane » en question est expliqué très tôt, alors que la jeune Alexia se fait implanter une plaque de titane dans la tête suite à un accident de voiture soudain. Bien qu’elle ait failli perdre la vie, elle se précipite hors de l’hôpital pour donner une douce caresse au véhicule. « Surveillez tout signe neurologique », dit le médecin à ses parents, et bien, nous savons à quoi cela va mener. Devenue jeune adulte, elle gagne de l’argent en tant que mannequin et danseuse dans des salons automobiles, mais ses véritables passions sont décidément plus inhabituelles. Elle se retrouve bientôt dans une situation délicate qui la conduit à la porte de Vincent Lindon, un père en deuil dont le jeune fils a disparu il y a dix ans. Les images frappantes susceptibles de faire frétiller les spectateurs ne manquent pas : les cicatrices, les cisaillements de peau, le gore et l’essence imprègnent tout, instituant un cauchemar graphique charmant auquel on ne peut fuir. Alexia se retrouve bientôt en fuite et s’introduit dans la maison du capitaine des pompiers Vincent (Vincent Lindon) en se faisant passer pour son fils disparu, Adrien. Une étrange dynamique familiale se met en place entre les deux : Alexia se cache (ou le cache, la fluidité des genres est au cœur de ce personnage) tandis que Vincent tente de l’amadouer, comme en témoigne une séquence de danse délicieusement maladroite sur la chanson « She’s Not There » de The Zombies. Vincent est manifestement si désespéré de retrouver Adrien qu’il est prêt à ignorer les signes indiquant que lui et Alexia ne sont pas liés par le sang. Ou peut-être s’en moque-t-il tout simplement, souhaitant seulement retrouver une famille complète. Comme Grave l’illustre de façon si dévastatrice dans ses dernières secondes, certaines personnes sont prêtes à aller jusqu’à des extrémités amères et destructrices au nom de la famille.

À savoir, Rousselle et aussi parfaite que Garance Marillier l’était dans le premier film de Ducournau, Grave (elle fait également une apparition dans Titane). Son rôle est en grande partie muet, ce qui rend fondamentale une corporalité intense. Rousselle livre l’un des plus grands jeux charnel de ces dernières années, tandis qu’en face d’elle, Lindon est à la fois tendre, troublant et brutal. Il y a un vertige tangible entre eux, avec une menace occulte toujours présente dans leur relation. Mais cette menace continue amène à des instants de douceur d’une efficacité exemplaire. Si Grave exprimait le désir féminin comme une faim rongeante bien concrète, Titane est tout aussi téméraire dans sa façon d’aborder le genre, l’érotisme et la virilité. La faculté de Ducournau à obtenir de l’humour dans les scénarios les plus effroyables est encore plus flagrante ici, le saugrenu et l’insensé vont de pair dans sa vision contre nature, tandis que sa maîtrise des couleurs et des sons frise la fascination. Jim Williams, qui a composé l’excellente partition de Grave, revient à la musique avec une symphonie chorale qui évoque Georg Friedrich Haendel et confie une indéniable dévotion aux scènes de perversion.

Si la relation entre Vincent et Alexia/Adrien est la Titane la plus sentimentale, le reste est un monstre cronenbergien. La marque distinctive d’horreur corporelle impensable de Ducournau revient plus méchante que jamais. Elle continue à faire en sorte que gratter une démangeaison intarissable ressemble à la chose la plus horrible et insoutenable que vous ayez jamais vue. Le tout culmine dans un final transgressif et époustouflant qui va certainement vous mettre un peu mal à l’aise. Là où Grave emportait les spectateurs dans un périple narratif plus limpide. Titane est une œuvre un peu plus dégagée. Un mystère coloré qui nous laisse avec de la matière et une envie incontestable de rechuter dans le quotidien de ses protagonistes. Ducournau continue d’accroître son extraordinaire œuvre, repoussant les limites de l’appétence et de la politesse pour soumettre un cinéma confrontant qui laisse une saveur d’acier énergique.
Titane au cinéma le 14 juillet 2021.
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