[CRITIQUE] Teddy – Teen Wolf en campagne

Dans l’incessante valse de la vie, le changement demeure l’unique constante. Cette assertion, bien que simple en apparence, dévoile une complexité abyssale quant aux affres du temps sur nos émotions, notre enveloppe charnelle et notre évolution intérieure. Les récits de lycanthropie, en exploitant la métamorphose physique à dessein thématique, évoquent diverses nuances, mais gravitent tous autour de la perte irrépressible de soi-même, engendrée par les altérations corporelles. Ce sous-genre horrifique, en révélant notre résistance au changement, résonne profondément auprès du public, telle une mélodie familière. Malgré l’universalité de cette expérience, des vestiges de notre être persistent, desquels nous refusons de nous départir. C’est dans cette toile de fond que s’inscrivent les thèmes explorés par deux cinéastes, Ludovic et Zoren Boukherma, dans leur deuxième œuvre, Teddy. Cette œuvre, bouillonnante d’une jeunesse avide d’angoisse et d’amour, narre une histoire de vengeance vorace et de lutte contre le changement.

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Le film suit le destin d’un jeune homme de vingt ans, Teddy, incarné par Anthony Bajon, pris au piège d’une existence fade, œuvrant dans l’anonymat d’un salon de massage, sans vision claire de son avenir. Son bonheur et son estime de soi fleurissent dans les soins prodigués à sa tante infirme et son oncle, avec lesquels il partage son toit. L’amour qu’il porte à sa petite amie, sur le point de terminer ses études secondaires, constitue également un baume à son âme. Alors qu’un loup rôde dans les environs de sa modeste bourgade rurale en France, Teddy, s’aventurant un jour dans les bois, est mordu par une créature dont la nature lui échappe. S’ensuivent des métamorphoses corporelles troublantes, où sa quête de sens, d’amour et de stabilité se voit remplacée par une soif insatiable de chair et de revanche. Bajon offre une performance saisissante dans son interprétation de Teddy. Tantôt irradie-t-il d’une colère, dirigée tant contre l’armée pour avoir mal orthographié le nom de son arrière-grand-père sur un monument de guerre, que contre ses pairs masculins, venus se moquer de lui sur son lieu de travail. Mais sa douceur transparaît également à travers ses liens affectifs. Il réprime inlassablement sa colère et sa frustration, s’efforçant d’incarner la meilleure version de lui-même pour ceux qu’il chérit. Malgré sa précarité financière et académique, il entretient des projets d’avenir avec sa bien-aimée. Il l’emmène visiter une propriété en développement, lui dévoilant les plans de leur future demeure dans une tentative poignante d’esquisser leur horizon commun. Cependant, son invitation à une soirée de remise des diplômes est accueillie par le rejet tacite de sa compagne, qui, délaissant ses Doc Martens et retirant son appareil dentaire, confesse son désamour pour Teddy, se tournant vers l’un de ses persécuteurs. Cette forme d’amour non partagé, douloureux et lancinant, incarne un aspect familier de la croissance, devenant le catalyseur de sa colère et de sa vengeance à venir.

Malgré le budget modeste du film, maints éléments macabres ébranleront le spectateur. Une scène où Teddy rase d’un geste méticuleux les poils étrangers proliférant sur sa langue, à l’aide d’un rasoir, s’avère particulièrement troublante, ajoutant une nouvelle strate visuelle à ce sous-genre horrifique. Néanmoins, les réalisateurs ont laissé place à l’imagination et à l’interprétation, préférant suggérer plutôt qu’exhiber, à l’instar des classiques de l’horreur. Cette approche s’avère efficace, préservant l’impact émotionnel et le frisson jusqu’à la conclusion.

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La thématique du changement transparaît également dans la symbolique des costumes. Alors que l’apparence et les centres d’intérêt de sa bien-aimée s’altèrent, Teddy demeure immuable. Hormis ses habituels gilets roses, portés durant son labeur, Teddy arbore le même t-shirt noir, symbole patent de sa résistance au changement et de son désir inébranlable de stabilité. Pour équilibrer les aspects les plus sombres du récit, des touches subtiles d’humour parsèment l’œuvre, évoquant le Loup-garou de Londres de John Landis et révélant l’admiration des réalisateurs pour l’horreur des années 80. À la fête de remise des diplômes, par exemple, les amis de la compagne de Teddy se contentent, maladroitement, d’observer un toast sur leurs téléphones, avant que n’éclate un affrontement encore plus embarrassant entre Teddy et l’un de ses rivaux masculins. Ces instants, empreints d’humanité, invitent le spectateur à questionner qui, en réalité, est le monstre de cette histoire.

La direction photographique, quant à elle, brille de mille feux, jonglant avec les jeux de lumière pour sublimer les nuances chromatiques et les aspects de la métamorphose de Teddy en loup-garou. Des éclats de violet, de vert, de bleu et de jaune, savamment disséminés dans les recoins sombres, captent l’attention vers les éléments essentiels du récit. La gestion habile de la lumière crée une tension palpable, à l’image d’une scène où seul le lueur d’un téléphone portable éclaire un moment de terreur, plongeant l’ensemble dans une obscurité oppressante. Cette attention minutieuse à l’aspect technique du film vise à susciter l’émotion, plutôt qu’à céder à la facilité du choc.

Le duo Boukherma signe ainsi un second opus, fruit d’une romance franco-horrifique entre Teen Wolf et Le Loup-garou de Londres. L’horreur corporelle se révèle pratique, les effets spéciaux subtils mais efficaces, démontrant qu’avec un budget modeste, maintes expériences cinématographiques peuvent être explorées. Témoin d’une vision inventive et émotionnelle du sous-genre des loups-garous, Teddy s’impose comme une source de réconfort autant que de malédiction, dépeignant avec brio l’éternel ballet du changement et de la croissance.

Teddy de Ludovic Boukherma et Zoran Boukherma, 1h28, avec Anthony Bajon, Christine Gautier, Ludovic Torrent – Au cinéma le 30 juin 2021

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