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[CRITIQUE] Le Règne Animal – Film de genre(s) (FEMA 2023)

Depuis neuf ans, Thomas Cailley n’a pas réalisé de longs-métrages après Les Combattants. Autant dire que son retour dans les salles obscures est très attendu, surtout avec un casting aussi savoureux. Romain Duris, Adele Exarchopoulos et Paul Kircher sont à l’affiche de ce film audacieux et original, appartenant à plusieurs genres. Dans un monde où une mutation transforme certains humains en animaux, la vie du jeune Emile est compliquée. Il doit déménager dans le sud de la France pour suivre sa mère, une mutante enfermée dans un centre-prison, avec son père. Les relations entre les deux hommes sont compliquées, et lorsque la mère du jeune homme s’échappe à la suite d’un accident, ils vont devoir tout tenter pour la retrouver. À partir de ce pitch fantastique, Cailley réussit à exploiter plusieurs éléments pour en faire l’un des films de genre les plus intéressants de l’année. Revenons sur ce succès surprenant.

© 2023 NORD-OUEST FILMS – STUDIOCANAL – FRANCE 2 CINÉMA – ARTÉMIS PRODUCTIONS

Le Règne Animal est un film qui mélange habilement différents cadres et codes narratifs pour créer une histoire unique. Bien sûr, on retrouve des éléments propres aux films pour adolescents et aux récits de passage à l’âge adulte, avec leurs clichés et leurs passages incontournables. Nous avons ce nouveau lycéen solitaire qui tente de s’adapter à son nouvel environnement, ainsi que des camarades qui représentent les archétypes évidents de ce genre cinématographique. Que ce soit le tyran ou l’intérêt amoureux, qui se résume d’ailleurs uniquement à cela, nous évoluons en terrain connu. Mais ce qui rend le film génial, c’est l’ajout d’autres genres cinématographiques qui brouillent les pistes quant à la nature de ce long-métrage. L’horreur et le fantastique apportent une dimension adulte au récit et confèrent une esthétique captivante aux décors.

Les décors du Règne Animal sont principalement des lieux naturels, considérés comme dangereux par les humains. Cependant, Cailley les filme de manière à les magnifier, que ce soit en utilisant des rayons de lumière importants ou en mettant l’accent sur les reflets, notamment près de l’eau. Cette beauté environnementale contraste évidemment avec les lieux habités par les humains, qui sont une source de conflits et d’inquiétude pour le protagoniste. L’autoroute au début du film et le supermarché par la suite, des symboles évidents de l’urbanisation humaine, deviennent ici des lieux de confrontation et de peur. L’horreur du film est donc largement influencée par le choix des décors, ainsi que par une utilisation excessive de la machine à fumée. Soulignons également le travail remarquable sur les prothèses qui donnent vie aux transformations des hommes en animaux. Cailley est suffisamment habile pour dissimuler ce qu’il ne peut pas représenter, mais comme on le sait depuis Alien : ce que l’on ne voit pas est bien plus terrifiant. Sa collaboration avec le dessinateur de bande dessinée Frederik Peters pour créer des créatures combinant animatroniques, maquillages, prothèses et effets spéciaux en post-production est particulièrement réussie.

© 2023 NORD-OUEST FILMS – STUDIOCANAL – FRANCE 2 CINÉMA – ARTÉMIS PRODUCTIONS

À mon sens, la plus grande réussite du Règne Animal est la plus surprenante, à savoir son humour. Les répliques clichées et les interprétations hasardeuses de certains acteurs confèrent au film une saveur étrange qui suscite constamment le sourire. Une fois que l’on accepte que le film est réellement drôle, que c’est son intention et non un échec, on peut pleinement apprécier son potentiel. Les acteurs contribuent grandement à cet aspect, en particulier Duris, qui est superbe dans ses échanges avec Kircher et Exarchopoulos. On regrette simplement que le personnage d’Adele se limite à quelques répliques humoristiques. Entre une mère absente, un intérêt amoureux cliché et un personnage d’Adèle un peu inutile, on remarque rapidement que Le Règne Animal manque de personnages féminins forts. Cette absence est étrange étant donné l’engagement du réalisateur en faveur de la promotion de l’égalité des sexes au cinéma, notamment à travers le collectif 50/50, sur lequel je vous invite à vous renseigner.

Ce manque est surprenant compte tenu de la pertinence du film sur certains sujets contemporains, tels que l’écologie, les libertés ou tout simplement la tolérance envers les différences, à l’instar de son prédécesseur X-Men. Ce qui est réussi avec Le Règne Animal, c’est qu’il tire le meilleur de ses sources d’inspiration, que ce soit la comédie, l’ambiance des films de genre ou les effets spéciaux des films fantastiques américains, pour créer une œuvre unique et marquante. Le film aborde également une multitude de sous-textes, tels que les restrictions des libertés par l’État, la peur de l’autre, la transformation du corps et de l’identité, ou encore notre rapport à nous-mêmes. Tout cela se fait de manière subtile, ouvrant la porte à de superbes discussions après la projection.

© 2023 NORD-OUEST FILMS – STUDIOCANAL – FRANCE 2 CINÉMA – ARTÉMIS PRODUCTIONS

C’est quoi le cinéma selon Thomas Cailley ? Le réalisateur a construit son œuvre autour de l’affrontement entre deux visions différentes. C’est évidemment ce que nous avons pu observer dans Les Combattants, mais aussi dans son court-métrage Paris-Shangai de 2011, où les deux protagonistes échangent sur leurs visions opposées. La grande force du Règne Animal réside dans le fait que cet affrontement est représenté par le personnage principal, qui réunit les deux camps et incarne un espoir de réconciliation. Il s’agit là d’un des grands films de l’année à ne surtout pas manquer !

Le Règne animal de Thomas Cailley, avec Romain Duris, Paul Kircher, Adèle Exarchopoulos – Projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma, sorti au cinéma le 4 octobre 2023