[CRITIQUE] Ogre – J’aurais voulu crier au loup

Il demeure en ma mémoire ce précieux instant où, lors de la projection du film Teddy au prestigieux festival de Deauville en l’année écoulée, les applaudissements éclatèrent dès l’apparition du logo de The Jokers Films, en introduction de ce long-métrage. Un geste empreint de respect, sans équivoque, de la part des spectateurs. Cette maison de distribution et de production cinématographique, véritable égérie du cinéma de genre, répondant aux attentes ferventes du public français et des amateurs éclairés, démontre un attachement indéfectible à cette forme d’expression artistique.

Lors de l’édition 2021 du festival, une séance nocturne, à l’image de celle qui avait accueilli Teddy l’année précédente, vint confirmer la présence continue des Jokers Films dans le paysage cinématographique, avec la promesse d’un nouveau chef-d’œuvre fantastique pour l’année 2022. Dévoilant d’emblée son image, son affiche et son titre, ce long-métrage suscitait l’attrait immédiat. Les attentes étaient à leur comble pour ce Ogre, au nom évocateur et pourtant effrayant. Un pari risqué pour Arnaud Malherbe et les Jokers ?

Copyright The Jokers / Les Bookmakers

Fuyant un passé fragile et douloureux, Chloé, incarnée par la sublime Ana Girardot, et Jules, le personnage égaré campé par Giovanni Pucci, prennent la décision de réinventer leur vie en s’installant au cœur de la campagne, dans un village en apparence paisible. Accueillis chaleureusement par les villageois, qui se réjouissent de voir en Chloé une nouvelle enseignante pour leur école, le couple se retrouve rapidement plongé dans un climat de méfiance. Jules, en particulier, commence à éprouver des doutes à l’égard de l’endroit et de son médecin, Mathieu, joué par Samuel Jouy, qui s’apprête à devenir le compagnon de Chloé. Est-ce que Mathieu incarne l’Ogre qui hante les craintes de la ville ? L’Ogre est-il une réalité tangible ou seulement le fruit d’un traumatisme personnel vécu par Jules ? Le conte contemporain d’Arnaud Malherbe nous réserve bien des surprises, même si elles demeurent, malheureusement, en grande partie avortées.

Dans une naïveté maladroite, Ogre peine à se défaire de son statut de simple téléfilm. Si le scénario, porté par son titre évocateur, maintient le spectateur en haleine dans l’attente de l’apparition tant redoutée du monstre, la réalisation d’Arnaud Malherbe peine à instaurer une atmosphère adéquate. Après La Nuée et Teddy, la campagne française semble être devenue le terrain de jeu privilégié du cinéma de genre, mais le long-métrage ne parvient jamais à rivaliser avec l’intensité visuelle et narrative de réalisateurs tels que Just Philippot ou les frères Boukherma. Se contentant d’une mise en scène statique, trop souvent prévisible, le film s’engouffre dans une longue attente qui ne trouve que rarement sa récompense.

Copyright The Jokers / Les Bookmakers

Le rythme, quant à lui, engourdit plutôt qu’il ne dynamise. Il parvient à susciter une tension qui s’effondre aussitôt, conduisant à une conclusion perdue entre l’absurde, l’incohérence et le mauvais goût. La créature tant redoutée se dévoile finalement dans toute sa grotesque splendeur, évoquant irrésistiblement les créations les plus délirantes de Javier Botet. L’Ogre, loin d’incarner une menace authentique, devient presque risible, surtout sous l’éclairage cru de la lumière. Cette dernière, loin d’être anodine, révèle un élément scénaristique pour le moins improbable, semblable à un fusil de Tchekhov revisité dans une œuvre d’une étrangeté captivante, tout comme les relations enfantines, empreintes d’une cruauté feinte mais jamais véritable, toujours exagérée.

Entre l’accablement provoqué par la lassitude festivalière et la déception face à cette œuvre insipide, Ogre se révèle comme une expérience désenchantée, malgré les promesses initiales. Sous des dehors chatoyants se dissimule un contenu des plus médiocres. L’ennui règne en maître dans ce film de genre rural, qui ne parvient pas à se démarquer. Si certaines performances parviennent à captiver l’attention, notamment celle d’Ana Girardot, Samuel Jouy semble se contenter d’imiter Robert Mitchum dans La Nuit du Chasseur, au point que cela en devient presque parodique. En somme, si l’année précédente j’ai crié au loup, cette année, je n’ai pu que pleurer pour lui.

Ogre de Arnaud Malherbe, 1h42, avec Ana Girardot, Giovanni Pucci, Samuel Jouy – Au cinéma le 20 avril 2022

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