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[CRITIQUE] Inexorable – Quelque chose de fatal doit arriver

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Par Louan Nivesse

Le dernier film du réalisateur belge Fabrice Du Welz, Inexorable, se présente tel un simili-giallo kubrickien, parfois teinté de sang, où la dévotion authentique et inébranlable implique d’aimer le pécheur tout en ignorant le péché. Étant le porte-étendard de l’angoisse adolescente basculant dans des extrémités meurtrières, le film s’avère être une remarquable synthèse de la trilogie thématique ardennaise de Du Welz, incluant son premier opus Calvaire, Alleluia et Adoration. Les adeptes de l’œuvre de Du Welz, notamment Vinyan, un autre éloge saisissant de l’amour confronté aux éléments et aux extrêmes, ainsi que Message from the King, un récit de vengeance anglophone, savent que des éclats de brutalité sont à prévoir. Toutefois, une douceur surprenante émane de son dénouement et de la bizarrerie psychologique de ce luxuriant cadre géographique, évoluant en un malaise époustouflant lorsque le Parasite perdu se transfigure en un démon blanc machiavélique.

Coécrit par Du Welz, son nouveau cauchemar rural explore une attirance troublante de Gloria, jeune adulte, envers Marcel, l’auteur du livre Inexorable qui captive son admiratrice. Marcel réside avec sa femme, Jeanne, et leur fille dans leur nouvelle demeure, héritage de Jeanne, au cœur de la région la plus reculée de Belgique. Marcel se débat avec un syndrome de l’imposteur, Jeanne est préoccupée, et leur fille est esseulée. Face à cette solitude, Marcel décide d’adopter un chien, Ulysse. Une erreur d’inattention amène Gloria à s’approcher dangereusement de cette famille. Du Welz possède le talent d’identifier l’interprète idéal pour incarner ses âmes brisées (l’utilisation de l’excellent Benoît Poelvoorde s’avère toujours judicieuse). Les personnages féminins, en quête de combler un vide, sont les plus vibrants, de la mère obsessionnelle d’Emmanuelle Béart dans Vinyan à la meurtrière éperdue de Lola Dueñas dans Alleluia. Avec Alba Gaïa Bellugi, Du Welz dresse son portrait le plus terrifiant à ce jour avec Gloria, principalement en raison de son imprévisibilité soulignée par son instinct prédateur et sa détermination.

Copyright The Jokers / Les Bookmakers

Telle une brebis égarée dès la naissance, Bellugi incarne Gloria comme une alliance entre l’Anna d’Isabelle Adjani dans Possession et la Suzy Bannion de Jessica Harper dans Suspiria, mêlant timidité innocente, folie précoce et accès de violence alarmants. Son passé sombre obscurcit son avenir, indiquant des troubles plus profonds à l’origine de ses actes envers la famille. Benoît Poelvoorde s’approche presque de Jack Nicholson en incarnant plusieurs âmes malheureuses croisant la folie et la décadence. Ce qui captive dans Inexorable, ce sont ses audaces visuelles. La saleté de la caméra reflète une radicalité implacable, les couleurs semblent disproportionnées, presque fantomatiques. La palette giallo prend une nouvelle dimension lorsque les codes couleur sont redéfinis par Du Welz. Le blanc, le bleu et le rouge revêtent une symbolique différente, entre innocence, malveillance et folie, glissant entre les personnages susceptibles de basculer. Certains résistent, d’autres succombent, mais la décence demeure le pivot du long-métrage, limitant l’invraisemblance et conférant au long-métrage une cruelle authenticité.

S’érigeant en un hybride sordide entre Shining de Kubrick, Parasite de Bong Joon-ho et le genre du giallo, Inexorable représente l’apogée artistique de son auteur. La tension y est magistralement travaillée, les acteurs impeccables (notamment Benoît Poelvoorde qui, comme à son habitude chez Welz, livre une performance remarquable) et le dénouement nous projette vers des horizons imprévus. Dans Adoration, Gloria déclare à Paul que “Quelque chose de fatal doit arriver“, une prédiction qui se révèle juste, présageant un carnage imminent.

Inexorable de Fabrice du Welz, 1h39, avec Benoît Poelvoorde, Alba Gaia Bellugi, Mélanie Doutey – Au cinéma le 6 avril 2022

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