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[ANALYSE] Cartographie du mal – Evil Dead Rise x The Shining

Image de Par Enzo Durand

Par Enzo Durand

Récemment est sorti Evil Dead Rise2023, nouveau long-métrage de la franchise d’horreur qui se passe dans un immeuble quasiment à l’abandon. L’appartement des protagonistes, situé dans les derniers étages du bâtiment, est un lieu parfait pour faire naître de la terreur. Il est relativement isolé, car les locataires du building ont tous quittés leurs domiciles à cause de la destruction prochaine de l’immeuble. Nos personnages sont donc seuls pour faire face à une menace millénaire, sans issue de secours. Les seuls moyens de descendre vers l’extérieur, donc vers la sécurité, sont dangereux et obturés. Un escalier, abimé et lent à descendre, et un ascenseur défectueux. Avec ces quelques environnements, l’on remarque immédiatement deux éléments intéressants. Premièrement, on sait où se trouve chaque lieux mentionnés plus tôt, que ce soit toutes les pièces de l’appartement, les habitations des voisins ou les issues possibles. Avec cette géographie mentale, le spectateur sait donc d’où peut venir chaque danger, tout en étant immergé au cœur du long-métrage. Deuxièmement, avec son ascenseur déversant un flot de sang, Evil Dead Rise2023 cite The Shining1980 de Stanley Kubrick. Et c’est là que les choses deviennent intéressantes.

© Warner Bros. France

En 1980, Kubrick sortait The Shining1980, film d’horreur adapté du roman éponyme de Stephen King. Dans ce long-métrage fantastique, une famille loge durant un hiver dans l’hôtel Overlook, une bâtisse gigantesque située au cœur des montagnes. Au fil des semaines, le père s’enferme dans l’alcoolisme et la folie, et un jeu de massacre commence dans les couloirs de ce lieu mythique. Ce qui rend le bâtiment si légendaire, c’est notamment le fait que l’on ne peut pas le cartographier. Malgré les longs plans séquences dans les couloirs et le hall de l’hôtel, impossible de dessiner les plans exacts du lieu. Beaucoup d’admirateurs de l’œuvre de Kubrick ont essayé de créer des cartes de l’Overlook Hotel, en se basant sur les écrits de King mais également sur l’ensemble des plans du film. Pourtant, leurs tentatives ne créent que des labyrinthes de plus en plus tortueux, et donc impossible à visualiser dans l’esprit du spectateur. Tout cela n’est pas le fruit d’erreurs ou de coïncidences, mais d’une volonté de brouiller les pistes. Stanley Kubrick fait perdre les repères de ses spectateurs pour créer une forme de similarité avec l’esprit de l’antagoniste. Ici, on ne peut pas cartographier le mal, ce qui le rend d’autant plus terrifiant. L’idée que la peur est partout s’impose donc avec force, grâce à cette géographie hasardeuse. 

© Warner Bros. France

Avec cette présentation de Shining, il y a un paradoxe intéressant qui se met en place. Le réalisateur Lee Cronin cite donc le film de Kubrick alors que leurs visions de la spatialisation horrifique sont totalement différentes. La référence ici, passionnante, serait donc davantage un hommage qu’une inspiration. Evil Dead Rise2023 n’essaye pas de rendre ses lieux flous ou confus, au contraire, il souhaite les rendre concrets et précis. Cette idée permet de se repérer facilement dans le long-métrage, et donc de prendre du plaisir dans les successions d’atrocités qui parcourent le film. D’ailleurs, les longs plans au steadicam permettent de nous faire prendre connaissance des lieux avec une facilité déconcertante. En quelques séquences, on sait exactement où se trouvent les objets utiles à la suite du film ou les lieux susceptibles d’être intéressants pour se replier. Une méthode ludique et particulièrement plaisante que l’on retrouvait aussi dans le Don’t Breathe2016 de Fede Alvarez (après qu’il ait d’ailleurs réalisé un Evil Dead). Dans son second long-métrage, il passait la première partie à nous faire découvrir les pièces du futur massacre, avant de justement jouer avec les nombreux éléments découverts par le spectateur. Ici, la spatialisation de l’horreur a donc un but ludique, tout comme dans notre film du jour, Evil Dead Rise2023. Mais pour le long-métrage de Cronin, les lieux sont aussi sources de symboles comme nous allons maintenant le voir. Enquêtez avec nous sur quelques lieux renfermant le mal absolu.

Les escaliers sont une récurrence du 7ème art. Un motif architectural qui permet de représenter la psyché d’un personnage, ou alors son évolution, de manière limpide. Récemment, Joker s’en servait à outrance pour montrer les changements psychologiques de son protagoniste. Mais puisque nous parlons de récurrences alors reprenons la même comparaison en boucle : Shining. Stanley Kubrick utilise lui aussi des escaliers, dans la confrontation entre les deux époux, pour en montrer justement le rôle dans la chute de Jack Torrance. Dans notre cas les escaliers n’ont pas de rôle direct sur la narration d’Evil Dead Rise2023. Ils servent un but symbolique : montrer l’état de psyché de certains personnages. Corrects et fonctionnels durant le premier acte, ils vont rapidement se montrer délabrés et miteux. Un petit indice sur l’état de santé de la mère de nos protagonistes. 

L’ascenseur joue sensiblement le même rôle, en plus claustrophobique et dangereux. Ici, il conduit tout droit à un parking, lieu de fuite ou de passage par excellence. Au cinéma, c’est un lieu où l’on risque beaucoup : la mort, la confrontation, la fuite, le duel et bien sûr la fin du voyage. Le parking d’Evil Dead Rise2023 est un peu tout cela à la fois. C’est ici que se déroule l’affrontement final entre les démons et les protagonistes survivants, dans un lieu où toutes les directions sont possibles. La symbolique est évidente mais elle inscrit surtout le long-métrage de Cronin dans une lignée de combats finaux souterrains, qui plus est contre une créature que l’on appelle « roi des rats ». Un affrontement qui rappelle bien évidemment le jeu The Last of Us Part II2020.

Evil Dead Rise2023
The Last of Us Part II2020

L’ensemble d’Evil Dead Rise2023, à l’exception d’une courte introduction et d’un épilogue, se déroule donc en ville. Un choix qui une fois de plus n’a rien d’anodin. Faire se dérouler son long-métrage à Los Angeles, c’est une fois encore inscrire son œuvre dans toute une tradition cinématographique : c’est la ville la plus filmée du septième art. Mais surtout Lee Cronin s’éloigne des repères traditionnels de la saga (grands espaces ruraux, forêts et campagnes) pour renouveler l’expérience. Le choix est donc de dépayser le spectateur, en créant une tension bien plus intime et renfermée. Cela semble évident mais un appartement donne une impression plus claustrophobique qu’une forêt. Surtout qu’ici, le domicile est situé tout en haut d’une tour, elle-même au cœur d’une ville tentaculaire rappelant les grandes heures du film noir. L’action se passe totalement de nuit, sous une pluie battante, ce qui une fois encore rappelle le Los Angeles des polars classiques. Le seul passant que l’on observe dans cette cité inquiétante est un sans domicile fixe, symbole d’une ville aux inégalités grandissantes. Cette incursion de la réalité n’a pas vocation à transmettre un quelconque message mais surtout de représenter les péchés d’une mégalopole s’apprêtant à être punie.

Tous ces choix architecturaux sont captivants car ils servent à la fois la narration symbolique d’Evil Dead mais également la mise en scène de Lee Cronin, qui sépare ces courtes zones en une infinité de plans-prisons. C’est quoi le cinéma horrifique selon Lee Cronin ? C’est un moyen d’expérimenter de nombreuses idées de réalisation tout en renouvelant une saga préexistante. Le cinéaste reprend les codes de la franchise, sans les modifier, en les transportant dans un environnement différent. C’est ici que l’environnement prend donc toute son importance. Cronin filme des lieux métaphoriques avec minutie pour renforcer la connaissance des lieux du spectateur. Ce mélange de ludisme et d’allégories fait d’Evil Dead Rise2023 un divertissement réussi.

POURSUIVRE AVEC L’AVIS DE @jeremy-m : EVIL DEAD RISE, LA CRITIQUE

Shining de Stanley Kubrick, 2h23, avec Jack Nicholson, Shelley Duvall – Sorti le 16 octobre 1980

Evil Dead Rise de Lee Cronin, 1h37, avec Lily Sullivan, Alyssa Sutherland, Morgan Davies – Au cinéma le 19 avril 2023.

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