C’est une relation bien délicate que le septième art entretient avec le jeu vidéo. Les deux mediums n’ont cessé de correspondre au long des décennies passées en partageant leurs technologies, leurs mécanismes de base, leurs grosses licences, leurs rencontres fortuites et leurs adaptations souvent ratées. Celle du chef d’œuvre vidéoludique The Last of Us pour la télévision remet une pièce dans la machine. L’histoire (re)commence lorsque le monde s’effondre, contaminé par un champignon parasite qui a la fâcheuse manie de transformer les populations en troupeau de zombies. Mais alors que le joueur découvrait l’apocalypse dans le feu de l’action, projeté après seulement quelques secondes dans une fuite désespérée, le téléspectateur, lui, est témoin des dernières heures de tranquillité et des premiers signes annonciateurs de la catastrophe. Cette différence d’entame et de cadence est significative : le but n’est pas de bêtement recopier l’œuvre originale, dont les attributs cinématographiques furent largement salués à sa sortie, mais de dilater sa trame et son univers en remaniant sa narration. Cela explique l’apparition de scènes inédites venues boucher des zones d’ombre et mystères autour de l’évolution de la pandémie (curieusement connectée à l’actualité), de dialogues rallongés, voire d’épisodes entiers voués à densifier « l’à côté », pour mieux répondre au titre de l’œuvre. C’est ce que viennent chercher Neil Druckmann (le réalisateur des jeux vidéo lui-même) et Craig Mazin (le showrunner de la mini-série Chernobyl) en changeant de support : ce qu’il reste de nous, les ultimes bribes d’humanité, pourquoi pas d’espoir, par l’intermédiaire de parenthèses dramatiques que le jeu, de par sa nature directive et unilatérale, ne pouvait s’autoriser. Le plus impressionnant avec The Last of Us version télévisée est précisément son arrangement narratif, ou comment la série parvient à constamment retomber sur ses pattes malgré ses multiples écarts, raccourcis et modifications quelquefois conséquentes. Comme si chacun des pas effectués par le programme, en avant ou de travers, lui faisait davantage épouser l’essence du matériau originel, embrasser son lyrisme et sa brutalité, ces instants de beauté au milieu du désordre.
Quoi qu’il en soit, les scénaristes ne perdent pas de vue Joel et Ellie, le duo dépareillé et substantiel du jeu vidéo. Le premier est un quinquagénaire au cœur brisé, la seconde est une adolescente immunisée au virus, les deux filent à travers les États-Unis pour tirer un vaccin de ce miracle. Le show ne retouche que peu à la recette initiale. Ce n’est pas tant leur périple semé d’embûches, révélant au passage la ruine du monde, que leurs conflits et liens profonds qui illuminent cette histoire post-apocalyptique. Druckmann et Mazin privilégient ici la liaison biscornue, mais intense, qui naît de la collaboration inopinée de ces deux âmes en peine à la succession de scènes d’action. La série refoule au maximum les instants de violence et le spectaculaire, comme elle freine la force de protagonistes qui n’ont plus rien de survivants invulnérables, pour que ses effets et retournements n’en soient que plus déchirants. À cet égard, le récit de The Last of Us gagne en crédibilité en s’attardant sur les points les plus ordinaires, en prêtant aux petits riens une attention particulière, sans pour autant tuer le danger. Un danger latent, moins fréquent à l’écran mais d’une puissance graphique démesurée lorsqu’il revient l’envahir. La présence de Craig Mazin à la production le présageait. Dans Chernobyl, il décrivait minutieusement l’apocalypse, ses ravages sur la société et le corps, caméra à l’épaule. Sa mise en scène de l’urgence était taillée pour l’invasion de zombies. Il la raccorde à une cinématographie organique et naturaliste, quasi-documentaire, une démarche esthétique qui diverge du jeu vidéo, bien que la réalisation réplique succinctement la vue objective (dite « à la troisième personne »), que la guitare de Gustavo Santaolalla revienne caresser nos tympans et que la série repeuple des décors connus – couloirs méphitiques, baraquements déserts et routes de campagne.
Mais surtout, son point de vue mouvant et omniscient permet à The Last of Us de connecter ses personnages par leurs actions parallèles, contraints de céder à la barbarie par peur de perdre l’autre. Un sentiment familier pour Pedro Pascal, habitué à couver les enfants particuliers depuis The Mandalorian, et qu’il interprète avec une énergie et une sensibilité prodigieuse. La tête hors du casque, le comédien chilo-américain compose avec la fragilité neuve de son rôle, marqué physiquement par ses blessures intimes et une culpabilité accablante, loin de l’armoire à glace que dépeignait le jeu. Cependant, la performance la plus bluffante s’observe peut-être chez sa comparse. La jeune Bella Ramsey, aussi passée par la case Game of Thrones, s’approprie le caractère capricieux, le langage de charretier et la trouille qui habite son personnage dans ce qui ressemble à un baptême du feu : après plusieurs apparitions remarquées à la télévision, c’est là son premier boulot sur le devant de la scène. Une victoire nette pour l’actrice, allant dans le sens d’une réussite globale, à mi-chemin entre la transposition littérale et le documentaire aux gros sous. En 2013, le miracle avait eu lieu côté manette. Dix ans plus tard, il nous est servi par HBO.
The Last of Us, 1 saison, 9 épisodes, 60 min, avec Pedro Pascal, Bella Ramsey, Anna Torv – Sur Prime Video