[CRITIQUE] Tropic – Sous les sunlights

Edouard Salier fait une entrée marquante avec son premier long-métrage, Tropic, un film qui navigue entre les eaux troubles de la science-fiction, de la tragédie familiale et du body horror. Plongeant les spectateurs dans un futur proche, Tropic met en scène l’évolution de deux frères jumeaux, Lazaro et Tristan, dont les rêves d’exploration spatiale se transforment en cauchemar après une rencontre dévastatrice avec une météorite extraterrestre.

ÉCLAT MÉLANCOLIQUE

Dès les premières images, Tropic nous envoûte avec une esthétique visuelle à couper le souffle, orchestrée par le directeur de la photographie Mathieu Plainfossé. Les couleurs sombres et envoûtantes se mêlent à des touches de lumière, créant une toile riche en contrastes. Cette palette chromatique révèle un monde à la fois séduisant et mystérieux, évoquant une beauté lugubre qui engloutit le spectateur. Cette dualité visuelle reflète les thèmes complexes du film, de la fraternité à la transformation monstrueuse.

Au cœur, la relation entre les jumeaux Lazaro et Tristan est le pilier de l’intrigue. Les performances magistrales de Pablo Cobo et Louis Peres donnent vie à ces personnages avec une présence imposante. Cobo incarne Lazaro avec une force masculine captivante, révélant la lutte intérieure d’un homme face à la douleur mentale, à une forme de deuil inhabituelle et à la responsabilité. Peres, quant à lui, exprime la transformation intérieure de Tristan avec une retenue poignante. Leurs interactions complexes évoquent une gamme d’émotions allant de la chaleur fraternelle à la froideur inhérente à la métamorphose.

La météorite alien qui s’abat sur Tristan engendre une transformation physique et psychologique dévastatrice. Cette altération radicale du corps devient une métaphore visuelle saisissante pour les bouleversements intérieurs des personnages. Le réalisateur exploite cette transformation pour explorer les thèmes de l’identité, de la masculinité et du rapport au corps. La scène où les frères discutent ouvertement de leurs désirs sexuels est particulièrement révélatrice de cette exploration, révélant la dualité de leurs propres identités et l’affrontement avec les normes sociales.

© Rezo productions/Pictanovo/BNP Paribas/Pictures Digital District
SYMPHONIE D’ÉMOTIONS

La musique de Tropic, composée par SebastiAn, transcende son rôle traditionnel pour devenir un véritable catalyseur émotionnel. Les mélodies envoûtantes accompagnent avec finesse les hauts et les bas des personnages, renforçant ainsi l’immersion émotionnelle du spectateur. La partition musicale devient une langue à part entière, traduisant les tourments intérieurs et les élans de passion des protagonistes. Des moments de tranquillité contemplative aux pics de tension dramatique, la musique de Tropic ajoute une couche d’émotion puissante à l’expérience cinématographique. Plus qu’une simple bande-son, elle devient un guide subtil qui enveloppe le public dans l’univers visuel et émotionnel du film, laissant une empreinte durable longtemps après la fin du générique.

Cependant, une légère fausse note surgit dans les dernières minutes, précisément lorsque le dernier plan de la scène finale (incroyablement déchirante) du film se conclut. La musique devient alors excessivement balourde, effaçant le silence qui avait réussi à émouvoir par sa pureté. À la place, une mélodie indéniablement belle, mais en soi, intrinsèquement classique, prend le relais. Elle semble clairement introduite pour asséner un dernier coup de violon pour finir. Cette approche semble quelque peu déplacée, une érosion de la subtilité initiale.

© Rezo productions/Pictanovo/BNP Paribas/Pictures Digital District
ELEPHANT BRO

Tout comme Tropic, le film Elephant Man de David Lynch explore la transformation physique et l’isolement social. Dans Elephant Man, le protagoniste John Merrick est marginalisé en raison de sa déformation physique, tandis que Tropic présente Tristan, transformé en une créature monstrueuse par une météorite extraterrestre. Les deux films examinent comment la transformation affecte l’identité et la perception de soi. De plus, ils révèlent la dualité émotionnelle des personnages, dépassant les apparences pour révéler leur humanité intérieure.

L’isolement est un thème partagé, avec John Merrick et Tristan confrontés à l’exclusion sociale en raison de leur différence. Les deux films convergent vers une conclusion symbolique où les personnages “quittent la Terre”, transcendant les limites physiques et sociales.

© Rezo productions/Pictanovo/BNP Paribas/Pictures Digital District

En somme, Tropic est une plongée audacieuse dans les méandres de la fraternité, de la transformation et de l’identité. À travers une esthétique visuelle à couper le souffle, des performances puissantes et une partition musicale envoûtante, le film capture les émotions complexes des personnages et les confrontations profondes qu’ils traversent. Cependant, malgré sa beauté visuelle et son exploration audacieuse de thèmes profonds, Tropic reste en partie entravé par des schémas narratifs familiers qui limitent sa portée. Néanmoins, tout comme Elephant Man, le film résonne avec les rêves brisés et les luttes intérieures de ses personnages, créant une expérience qui hante et qui émeut longtemps après la fin du générique.

Tropic d’Edouard Salier, 1h50, avec Pablo Cobo, Louis Peres, Marta Nieto – Au cinéma le 2 août 2023.

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