Il est peu dire que Benedetta était attendu. Du livre original Immodest Acts : The Life of a Lesbian Nun in Renaissance Italy écrit par Judith C. Brown, Paul Verhoeven reprenait l’histoire de cette nonne et future abbesse italienne incarnée par Virginie Efira, qui allait être vénérée par son entourage pour ses miracles nés de la main de Jésus lui-même, puis chassée et voulue sur le bûcher pour saphisme (lesbianisme aujourd’hui, entretien de rapports sexuels entre deux femmes).
Il ne fait pas de doute que le cinéma de Verhoeven réside à chaque instant dans ce long-métrage, que l’on y retrouve tout le sens du grotesque/second degré (voir les séquences avec Jésus, absolument poilantes, les conflits d’intérêts entre nonnes/paysans donnant lieu à de belles réparties), la dynamique sexuelle exploitée aux fins d’une démonstration sur ce qu’est l’Amour au fond, et la violence inhérente à cette société du 17ème siècle, ici physique et psychologique. Pourtant, et c’est là où Benedetta frappe très fort, jamais l’humour n’est utilisé de manière gratuite. Bien au contraire, si sur les trente premières minutes, le film de Paul Verhoeven lorgne très souvent vers la comédie noire, c’est parce que le personnage n’est qu’une jeune fille. Comment discerner la monstruosité et l’horreur de ce qui l’entoure, alors qu’elle n’est que très jeune ? L’abbesse le dira à Bartolomea, ce n’est qu’une jeune enfant, et c’est ce qui fait son charme. Alors, la mascarade religieuse dévoilée par Verhoeven n’est que plus frappante lorsque le rire provoqué par la vision et les propos d’une jeune enfant se transforme en la crainte, et la terreur progressive d’une Benedetta adulte sur le monde qui l’entoure. Et si la comédie noire n’est jamais totalement délaissée sur les 2h10 de film, c’est parce que Benedetta devient l’épouse de Jésus, dépassant le grotesque au rang du sublime, parce que puissant symboliquement voire tétanisant (cf les scènes de possession). C’est d’ailleurs là toute l’intelligence du propos de ce long-métrage, basculer d’un registre à l’autre, de la comédie noire au film érotique, au drame social et politique.


Benedetta est également un film sur l’émancipation féminine. Des scènes de sexe entre les deux jeunes femmes, la jouissance n’a de symbole que l’affranchissement de la jeune nonne, prisonnière d’une institution réprimant l’acte sexuel au sein de leur institution, et entre deux femmes. L’acte sexuel est une composante de l’Amour, le désir charnel est normalité et ne devrait pas être réprimé. Que dire de cette possession christique en Benedetta ? Pertinent, parce que d’autant plus symbolique. C’est Jésus lui-même qui permet l’acte sexuel et réprime le mensonge à l’intention malveillante (cf. celui de Cristina). Rappelant par moments la chasse aux sorcières d’un Jour de Colère de Dreyer, dans sa violence psychologique perpétrée à l’égard de Benedetta, puis physique (condamnation au bûcher), le long-métrage joue parfois dans le trash. Mais encore une fois, cela est condensé par des passages dramatiques absolument magnifiques, où le personnage incarné par Efira tente d’alerter les religieux de leur sort funeste comme de rassurer ou convaincre Bartholomea.

La direction des acteurs est également magistrale, on ne peut qu’être impressionné par la puissance de jeu d’une Charlotte Rampling vicieuse, un Lambert Wilson ici profondément sadique et d’une Virginie Efira en état de grâce, incarnant ce personnage à double tranchant, nourri de paradoxes. Effrayée de commettre l’acte sexuel puis libérée par la puissance christique, dévoilant le voile d’une mascarade religieuse perpétrée par tous les membres de l’abbaye, son personnage monte en puissance et détruit le symbole religieux pour le confronter au symbole sexuel.
D’un symbole de la Vierge Marie auquel ce petit monde prétend croire, Verhoeven le transforme en objet sexuel, à la différence qu’il est utilisé par deux femmes, qui s’aiment : détruire un symbole sans conviction pour lui donner une véritable signification. Comprendre l’institution religieuse comme une gigantesque farce. Pendant une scène du film, on nous apprend que Jésus souhaite que les jeunes enfants de la communauté religieuse soient vêtus comme des anges à sa mort nouvelle, et le Nonce parle d’un spectacle ridicule. Verhoeven confronte le ridicule apparent d’une situation au caché d’une institution, par la même d’un spectateur clamant au téléfilm suranné (oui déjà, au regard des retours sur le film) par le grotesque alors que se trame un film terrifiant sur la répression de l’acte sexuel/le lesbianisme, d’une densité profonde et au propos absolument nécessaire, aujourd’hui.

Benedetta divisera, il n’y a pas de doutes. Cependant, Paul Verhoeven n’a pas joué dans la demi-mesure et il convient de lui attribuer tous les honneurs. Parce que superbement mis en scène, à la fois sensuel et inquiétant, bouleversant parfois, il transcende son propos politique avec un érotisme propre à son cinéma (certaines scènes rappellent Basic Instinct, comme Black Book) et une violence brute révélée en plein jour, dans la dernière partie du film. Si l’œuvre de Verhoeven semble se terminer positivement avec une Benedetta angélique sur son cheval et repartant au village forte de sa conviction, elle ne cessera pas d’être discriminée comme le rappelle le sous-titre. C’est là la force d’un cinéaste qui n’a désormais plus rien à prouver, mettre en scène parfois le banal, parfois le choquant ; et susciter l’interrogation au spectateur : que peut-il se cacher derrière la normalité et l’anormalité ? Verhoeven souhaite que son audience repousse ses propres limites, préjugés afin de s’élever spirituellement, comme l’abbesse. On appelle ça un grand film.
Benedetta au cinéma le 9 juillet 2021.
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