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[ANALYSE] Basic Instinct – Quand Verhoeven réécrivait le film noir

C’est en 1992 que le public découvrit pour la première fois sur grand écran Basic Instinct, film ô combien important dans la filmographie de son réalisateur, Paul Verhoeven, mais également dans l’histoire du thriller érotique, celui-ci étant considéré comme le porte drapeau de tout une génération de films du même genre des années 1990 qui lui succèdent. Sujet à la controverse dès sa sortie, le film nous plonge dans une enquête policière menée par l’inspecteur de police Nick Curran (Michael Douglas) dans laquelle une star de rock,Johnny Boz, a été assassiné à coup de pic à glace alors qu’il était en plein ébat. Catherine Tramell (Sharon Stone), romancière et amante de cette même rock star, est rapidement désignée comme la suspecte numéro un, d’autant plus qu’un de ses romans décrit un meurtre aux circonstances identiques. S’ensuit le début d’une romance aussi charnelle que vénéneuse entre Catherine et Nick, dont les passions jouent dangereusement avec dévoiement.

Verhoeven s’empare ainsi du film criminel classique pour en faire une œuvre novatrice, qui renoue avec les codes du film noir tout en les réinventant. Impossible en effet de ne pas voir en Nick Curran un air de Dana Andrews ou d’Humphrey Bogart des années 1940, héros torturé, en constante lutte contre ses propres vices.. Le personnage de Michael Douglas n’échappe pas à cela, tiraillé entre devoir et volupté.
Néanmoins, la plus grande force du long-métrage réside surtout en ses figures féminines. D’un côté le docteur Beth Garner (Jeanne Tripplehorn), psychologue dans la police mais surtout ex petite amie de Nick, venant ainsi mener le trouble au détective durant son enquête. Beth nous est donc présentée comme une femme on ne peut plus normale, avec ses qualités et ses défauts certes, mais loin d’être aussi venimeuse et excessive que sa némésis, Catherine. Car de l’autre, on retrouve Catherine Tramell, auteur à succès, dont les charmes ne laissent personne indifférent dans les rangs policiers. Ouvertement bisexuelle, le film est sujet à la polémique pour le rapprochement qu’il fait entre la sexualité de Catherine et son éventuel appétit pour le macabre, qui ferait d’elle une sociopathe invétérée. Si à sa sortie le public y voit une forme de misogynie abjecte, réduisant ses personnages féminins à leur acte sexuel, il n’en est en rien en réalité ; Basic Instinct ne fait que mettre en exergue la faiblesse de ses figures masculines face à une personnalité aussi forte que celle de Tramell. Sharon Stone renvoie à son personnage une allure surnaturelle, elle rayonne partout où elle va et ne semble jamais perdre le contrôle. Pourtant, une scène clé du film nous montrera que tout cela n’est qu’illusion, confiant à Nick que tous ceux qu’elle aime s voient subitement mourir. Son imperméabilité n’est donc qu’un masque pour faire rempart au criminel s’en prenant à ses proches.

Créer le mythe.

Mais ce masque, Verhoeven nous le montre bien avant que les dialogues se chargent d’expliciter le propos. Tout se joue lors de la célèbre scène de l’interrogatoire, scène malheureusement bien trop souvent réduite à l’écartement de jambe provocateur qu’effectue Stone à la demande du réalisateur, alors même qu’elle ne porte de sous vêtement. Dans cette séquence, Verhoeven ajoute au classique scènes d’interrogatoire une dimension méta particulièrement intéressante pour le personnage de Tramell. Tous les éléments dans la scène viennent en effet nous rappeler les conditions d’un plateau de cinéma, à commencer par le voyant rouge devant la porte qui n’est pas sans rappeler celui présent dans les studios de tournage, précisant si une scène est en train d’être tournée ou non. Dans cette optique, Catherine Tramell est montrée comme une actrice jouant sa scène devant des spectateurs obnubilés, ici les policiers. Les accessoires et éléments de décor de la diégèse du film viennent alimenter cette mise en abyme de la société du spectacle. Verhoeven nous rappelle donc subtilement que Tramell occupe la place d’actrice, et en ce sens il filme sa transformation, nous assistons au moment où celle-ci endosse frontalement le rôle de femme fatale pour se protéger, mais également pour manipuler le corps policier en répondant à leurs attentes, c’est à dire au fantasme qu’ils se créent autour d’elle. Également, le travail des lumières nous renseigne sur l’emprise qu’elle a sur ces hommes, la pièce étant éclairée d’un bleu clair nous rappelant celui des yeux de Catherine. Difficile d’y voir une simple coïncidence dès lors qu’on sait que le poste de directeur de la photographie est assuré par le très réputé Jan de Bont. Si Catherine prend possession du décor, elle s’empare également du cadre, occupant de plus en plus d’espace dans la composition à mesure que la scène avance, renforçant indubitablement sa métamorphose, avant de finir par complètement épouser la caméra, devenant définitivement un personnage du 7ème art. Cet espace de plus en plus occupé par la jeune femme vient ainsi dévorer celui du camp adverse, les policiers se trouvant étriqués par le bord cadre. Elle domine sur absolument tous les plans, la photographie sublimant sa prestance, et les dialogues rappelant son assurance. Envoûtés, la fiction créée autour de Tramell est telle que c’est cette illusion qui va les amener à l’erreur, conduisant à de multiples péripéties non pas sans conséquences.

Influences hitchcockiennes.

Si nous parlions tout à l’heure du film noir hollywoodien et de l’influence qu’à eut celui-ci dans la conception de cette œuvre, une autre influence majeure est présente dans le film, et qui cet influence nous viens tout droit du maître du suspense..! Si vous avez vu Vertigo, l’influence d’Hitchcock chez Verhoeven apparaît comme une évidence : un policier de San Francisco tombe amoureux d’une illusion, respectivement Madeleine (Kim Novak) chez Hitchcock et Catherine chez Verhoeven. Réinvention de la femme fatale, Catherine est également une relecture de la blonde hitchcockienne, nourrie d’une certaine modernité de par sa sexualité et son statut de romancière sexy, alors même que le stéréotype cinématographique va à son encontre (généralement, celles-ci sont plutôt présentées comme prudes, presque marginales tant elles sont plongées dans leur monde fictif). Les deux longs-métrages interrogent à leur façon la capacité qu’à le cinéma à nous pousser dans la position de voyeuriste, nous plongeons dans l’intime des personnages avant de nous faire notre propre histoire sur ces derniers. Pénétrer dans cette intimé houleuse nous pousse à théoriser, chacun menant sa propre enquête en parallèle, faisant de ces deux œuvres des films pouvant s’apparenter au “pure cinema” qu’Hitchcock a souvent défendu, celui qui n’a besoin non pas de mot mais d’image pour exister ; tout le reste n’étant que fioriture. Également, le score de Jerry Goldsmith met en exergue la sublime conjugaison entre macabre et romance, Hitchcock étant connu pour filmer des scènes d’amour comme des scènes de meurtre et vice-versa. Les scènes de sexes de Basic Instinct ont donc pour elle cette puissance émotionnelle vous amenant à frémir aussi bien d’excitation que de peur..!

Une étrange expérience qui a sans doute contribué à en décontenancer plus d’un, construisant une réputation sulfureuse au long-métrage, qui est aujourd’hui considéré pour les cinéphiles comme un incontournable des années 1990.

Basic Instinct en DVD, Blu-ray et 4K.

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