[CRITIQUE] The Batman – La vengeance de DC

Batman, l’un des plus grands mythes de l’époque contemporaine. Des centaines de comics, de romans, d’épisodes de séries télévisés, de fanfictions et bien sûr neuf films en comptant ce petit dernier réalisé par Matt Reeves. La tâche de réaliser un nouveau long-métrage sur le plus grand détective du monde elle est immense tant les attentes sont élevées. Chaque petit élément de promotion a été scruté, chaque choix de casting a était discuté jusqu’à épuisement. Mais il est enfin là ce nouveau Batman, le film le plus attendu de l’année. Et bordel qu’est ce que c’était génial.

Il faut dire que le projet avait tout pour être réussi. À la réalisation on trouve Matt Reeves, un réalisateur qui fait office aujourd’hui de figure d’exception dans le système hollywoodien. Il a su réaliser des blockbusters a très gros budgets, qui sont à la fois de gigantesques succès commerciaux et critiques. On pense bien évidemment aux deux derniers La Planète des Singes mais également à Cloverfield. Et ce qui est d’autant plus intéressant c’est que le scénario écrit par Ben Affleck (lorsqu’il comptait encore incarner le justicier de Gotham) est jeté à la poubelle pour permettre à Reeves et son coscénariste Peter Craig d’avoir une plus grande liberté créative en écrivant leur propre film. Le travail d’écriture de Matt Reeves était particulièrement intéressant sur les La Planète des Singes notamment car il faisait s’opposer d’abord les personnages avant que ce soit simplement le bien et le mal. Ainsi ces films sont toujours plus complexes et ne se résume pas à singe = gentil et humain = méchant. En plaçant ses personnages, avec divers objectifs, en confrontation, Reeves avait su créer une intrigue passionnante dont on ressortait troublés et conquis. Cette liberté créative se sent également dans la durée du film : trois heures qui ne sont jamais ennuyantes et jamais simplistes.

© 2022 Warner Bros. Entertainment Inc. The Batman and all related characters and elements are trademarks of and © DC Comics.

Commençons tout de suite par parler du film, et par son aspect le plus évident : Gotham n’a jamais été aussi beau. The Batman est un film magnifique et le directeur de photographie Greig Fraser donne ici l’une de ses meilleures prestations. Maniant les ombres avec talent il donne à cet environnement urbain un aspect presque mythologique. Gotham n’est plus simplement une ville corrompue, elle devient la corruption même. Les clairs-obscurs viennent sans cesse rappeler la dualité qui torture tous les personnages du film, là où le crépuscule du jour apporte une lueur d’espoir, la nuit vient au contraire rappeler que le Batman de Pattinson n’est pas un sauveur. Il est le danger et la peur. Le film sait en plus de cela, et malgré la pénombre, être très lisible dans ces scènes d’action. Ce sont les meilleures scènes de combat du Batman au cinéma, seuls les jeux Arkham ont réussi à faire mieux. Grâce à une superbe gestion de l’espace et du cadre, on sait toujours où se trouvent les personnages durant les affrontements. Batman enchaine les coups puissants, qui se ressentent parfaitement grâce à l’environnement sonore très sec du film. On entend le cuir du costume se tendre, on entend la respiration du justicier s’accélérer et surtout on entend finalement les os des criminels se briser. Et que dire sur cette sublime course-poursuite où on comprend toujours les enjeux et les dangers. Jamais la puissance de la Batmobile n’avait été aussi bien filmée. Rien que pour cette sublime poursuite le film mérite son cinq étoile.

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En fusionnant les aspects les plus gothiques de la ville (rappelant l’héritage de Tim Burton ou de Bruce Timm) et l’impression que cette ville de Gotham est tangible (comme l’avait notamment fait Christopher Nolan), Matt Reeves créer quelque chose d’extrêmement beau et triste à la fois. Gotham n’a jamais été aussi vivante, et elle est pourtant au bord de la mort. Les inégalités, les manifestations, les meurtres et les monstres sont de plus en plus nombreux à vivre sur le dos de la ville, elle est sur le point de s’écrouler. C’est au cœur de cette bouillonnante Gotham, dans laquelle sont reclus tous les problèmes de l’Amérique, que le meilleur atout du film arrive : ses personnages.

Le Batman de Robert Pattinson est le fruit de cette ville décadente. Violent, sombre et torturé : il incarne ici tout le désespoir auquel ont succombés les citoyens de Gotham. Il est le fruit de leurs cauchemars et Pattinson incarne parfaitement les tourments de ce personnage. L’un de ses plus grands rôles, et surement l’interprétation du Batman la plus réussie jusqu’à présent. Son Bruce Wayne manque en revanche d’un poil de développement. Il est très intéressant en tant qu’élite de la ville qui semble avoir abandonner tout espoir de la sauver, mais il ne montre finalement que très peu son traumatisme en tant que Bruce Wayne, c’est dans les actions de Batman que son esprit tourmenté est le plus visible. Un justicier jeune, n’agissant que depuis deux années, qui flirte dangereusement avec les notions des vigilantes. Dans un monde où l’espoir est mort, Batman a cédé à l’ultra-violence et les gros plans sur son regard fou réussissent en quelques secondes à représenter toute la noirceur du film. Fini les blagues en séries et les films sortants tout droit d’une usine, Matt Reeves vient rappeler ici que les comics sont un miroir de notre propre monde. Pour The Batman tout est déjà perdu, il n’y a plus d’échappatoire. Jusqu’à ce final éblouissant. Jusqu’à ces dernières scènes où le cinéma vient nous rappeler que l’espoir existe encore. Que tout n’est pas perdu à la fois pour Gotham et pour le système hollywoodien. Jusqu’à ce climax où Batman nous rappelle qu’il suffit d’une bougie pour dissiper les ténèbres.

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Pour revenir sur le reste du casting principal : Zoé Kravitz incarne à nouveau Catwoman, après le film Lego Batman de 2017. Un rôle assez simple, reprenant plusieurs éléments classiques de la mythologie de son personnage. Notamment sur toute la dualité qu’elle représente, à cheval entre le monde des criminels et celui des héros. Cette notion de dualité est sans cesse remise en question dans le film et dès les toutes premières scènes. Je pense notamment à l’affrontement du métro où un jeune criminel, dont seule une moitié du visage est peinte, représentant le fait qu’il n’est pas tout à fait perdu. Batman lui laisse d’ailleurs une chance de changer sa vie, tout comme il fera tout pour aider Selina Kyle. Face à ses personnages hésitant sans cesse entre la voie de l’espoir et celle des ténèbres, Batman fait tout son possible pour les sauver. Plutôt ironique quand on remarque qu’il n’a pas réussi à se sauver lui-même.

Matt Reeves rappelle son acteur fétiche, Andy Serkis, pour le rôle d’Alfred. Un majordome qui ici sert surtout de contraste pour nous montrer à quel point Bruce Wayne semble irrécupérable. Finalement, malgré les trois heures du film, il n’est pas assez présent tant le film de Reeves se concentre sur les proches de Batman plutôt que sur les proches de Bruce Wayne. Et c’est justement le lieutenant Gordon, incarné par Jeffrey Wright, qui bénéficie ici d’un traitement plus important. Comme les autres personnages du film James Gordon semble bien évidemment épuisé par la noirceur de Gotham, mais il incarne une lueur d’espoir en restant fidèle à ses principes moraux. L’un des personnages les plus présents du film, et c’est tant mieux tant on a enfin affaire à un Gordon intègre et puissant à la fois. On sent toute sa volonté de lutter contre la corruption qui ronge sa ville, il est toujours sur les nerfs (je pense à cette magnifique scène au commissariat) et c’est sa volonté qui empêche la ville de sombrer. En faisant confiance a un héros sorti de l’ombre, Gordon permet à Gotham d’apercevoir une lueur d’espoir. Après cette prestation on ne peut qu’avoir hâte de la série spin-off sur le GCPD.

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Mais comme toujours dans les œuvres traitant de Gotham, les personnages les plus captivants ce sont les antagonistes. Et ici en trois heures, Reeves prend le temps de dépeindre avec attention ces monstres, créés par la société américaine. John Turturo joue un fantastique Carmine Falcone, un parrain de la pègre arrogant et puissant grâce à la sincérité de son jeu. L’antagoniste principal du film, une version plus réaliste et violente de l’homme-mystère est joué par Paul Dano. Alternant différentes gammes de jeux entre tueur sadique et mystérieux sorti de Zodiac, ou terroriste brutal et grandiloquant sorti de Saw, Paul Dano est l’une des meilleures adaptations de vilains de comics. On regrettera juste sa tendance a parfois en faire trop, pas non plus au niveau d’un Jim Carrey mais tout de même un poil trop. Encore une fois l’intérêt principal de ce personnage est de remettre en perspective le mythe de Batman. Qu’ont-ils de si différents ? La toute première scène du film voit le Riddler utiliser ses jumelles avant d’entrer par la verrière. Quelques scènes plus tard Batman utilisera également des jumelles avant de faire sauter la verrière lors du climax. Les parallèles entre les deux personnages sont nombreux tout au long du film. Les deux ne sont que des monstres créés par Gotham. Ils ont le même but à atteindre : mettre la lumière sur les plus sombres secrets de cette ville au bord du gouffre.

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Celui dont la performance est la plus rafraichissante, c’est Colin Farrell qui incarne donc Le Pingouin. Il survole les scènes dans lesquelles il est présent, et malgré ses très lourdes prothèses, il réussit à donner des mimiques faciales extrêmement drôles à son personnage, sans en faire un chef de gang ridicule pour autant. On m’a fait remarquer qu’il ressemble parfois à un mauvais sosie de De Niro et malgré tout, je l’aime ce pingouin. Ce rat ailé.

Ce qui est le plus intéressant dans ces personnages, c’est la manière dont Reeves les place en résonances les uns avec les autres. Dans ce brouillard qu’est Gotham les lignes séparant les vilains des héros n’existent plus. Batman, Catwoman, le Riddler et le Pingouin sont tous prisonniers de leur passé. Les traumatismes de leurs enfances respectives les ont forcés à devenir des Freaks. Ils réussissent tous, à la fin du film, à se tourner vers un avenir plus ambitieux. Leurs points communs s’accumulent encore et encore. Reeves reprend son travail effectué sur La Planète des Singes et l’améliore encore plus : il n’existe plus aucunes limites entre les différents camps. Bruce Wayne est un accroc à la violence, qui s’autodétruit. The Batman raconte avant tout, l’histoire d’un homme brisé qui en se reconstruisant va devenir un véritable héros. La quête du film c’est simplement Bruce Wayne qui doit trouver sa voie, quelles limites veut-il se fixer ?

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The Batman est un film sombre. Cela est dû en partie à ses nombreuses influences. Un condensé de cinéma torturé, désespéré, presque nihiliste. Tout d’abord l’une des références les plus évidentes de Reeves, c’est bien évidemment le thriller américain des années 2000, principalement gouverné par David Fincher. Le style vestimentaire du Riddler rappelle Zodiac, mais ce sont surtout les enquêtes du Batman et Gordon qui viennent faire référence à Seven. Pour la première fois au cinéma, Batman est enfin dépeint comme ce qu’il est : le plus grand détective du monde. The Batman vient enfin justifier le nom de Détective Comics. L’enquête peut parfois paraitre un peu longue, surtout que le Riddler aime que Batman revienne sur les mêmes énigmes en boucle. Un cycle meurtrier que rien ne semble pouvoir arrêter. Toute cette affaire s’est répétée d’année en année, et les deux qui veulent y mettre un terme, sont le Riddler et Batman. Ce petit garçon qui voit son père mourir en ouverture rappelle forcément le jeune Bruce Wayne qui a vu ses parents se faire tuer. Le film s’ouvre sur l’Ave Maria et se termine sur le Riddler chantonnant encore cette musique, une boucle interminable de violence. Leur affrontement final a d’ailleurs lieu dans un lieu circulaire, Batman explose littéralement le cycle de corruption qui empoissonne Gotham.

Les inspirations de Reeves vont encore plus loin que les thrillers américains, en reprenant notamment certains codes des films noirs et néo-noirs. On pense à l’ambiance extrêmement lugubre du film, presque déprimante, mais également à des codes plus traditionnels comme cette voix-off d’un Bruce Wayne qui nous guide à travers la pénombre. Batman est le héros par excellence d’un film noir : il erre dans les rues, ne semblant jamais être à sa place. Cela se voit également dans la manière dont il se sacrifie sans cesse pour sa ville, se tuant à la tâche jusqu’à l’ultime sacrifice. « Tu finiras par y laisser la peau » lui dit Catwoman. Il le sait, et il le fera quand même.

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Avec The Batman, Matt Reeves vient rappeler que les super-héros ne sont pas un genre au cinéma, c’est une thématique. Les réalisateurs ont le pouvoir d’en faire ce qu’ils veulent. C’est notamment pour cette raison que Reeves décide de faire de son œuvre, un très grand film d’horreur. Les monstres ne sont pas toujours ceux que l’on pense et le réalisateur américain est bien décidé à le prouver, notamment en filmant la chauve-souris comme un tueur de slasher. Cette idée se remarque lorsque Batman apparait dans le cadre, sortant toujours de l’ombre, le bruit de ses lourds pas indiquant son approche, comme un screamer. Certaines scènes du film sont des chefs-d’œuvre d’horreur, notamment la scène d’introduction qui en reprend de nombreux codes. Dès les premières secondes Matt Reeves impose sa patte, une marque qui ineffaçable. Comme un avertissement à tous les studios du monde.

Avec The Batman, Matt Reeves a réussi le pari complètement fou de faire le meilleur des films sur la chauve-souris. Il lui a rendu hommage, notamment en remettant au gout du jour son côté investigation. Le film permet surtout de voir en quoi Batman est un mythe moderne et éternel. Son histoire semble toujours autant d’actualité lorsqu’on observe les différents mouvements sociaux autour du monde. En faisant toute une intrigue sur la colère d’un peuple, sur les avertissements que ces derniers adressent à leurs élus, The Batman permet de faire résonner son propos avec une actualité bouillonnante. Gotham c’est vous et moi. Gotham c’est nous. Et comme le film le rappelle : nous avons encore le choix de choisir l’espoir plutôt que les ténèbres et la colère. Le propos du Batman et de son masque est éternel : l’identité n’a pas d’importance, tout le monde peut être un héros. Vous y compris.

The Batman de Matt Reeves, 2h57, avec Robert Pattinson, Zoë Kravitz, Paul Dano – Au cinéma le 2 mars 2022

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