[RETOUR SUR..] L’Armée des 12 singes – les conséquences des actes

Réalisé par l’éminent Terry Gilliam en 1995, L’Armée des 12 singes demeure une œuvre vénérée qui sonde les profondeurs de la folie, de la manipulation et du destin, tout en nous immergeant dans un univers cauchemardesque d’une complexité inouïe. Tirant son inspiration du court métrage français de Chris Marker, La Jetée, il nous convie à un voyage temporel oscillant entre un futur post-apocalyptique et un passé proche, en compagnie du protagoniste, James Cole, incarné magistralement par le talentueux Bruce Willis.

L’Armée des 12 singes s’ouvre sur un avenir désolé, où une pandémie meurtrière a dévasté la population. La société se terre dans les entrailles de la terre, évoluant dans une ambiance sombre et oppressante. Le cinéaste nous offre une vision dystopique d’une beauté saisissante, imprégnée d’une esthétique steampunk qui embrasse les codes propres au réalisateur. Les décors industriels, les machines énigmatiques et les costumes anachroniques nous transportent dans un monde à la fois inquiétant et captivant. En ce milieu apocalyptique, James Cole est choisi pour accomplir un voyage temporel visant à récolter des informations sur l’origine du fléau. Cette descente aux enfers temporelle se caractérise par des séquences hallucinatoires et des rencontres perturbantes avec des individus excentriques. Gilliam manie habilement des éléments visuels pour refléter la confusion du protagoniste face à l’entremêlement du passé, du présent et du futur. Les variations de rythme, les distorsions visuelles et les montages audacieux amplifient le sentiment d’aliénation et d’instabilité qui prédomine dans le récit.

Au centre réside une interrogation fondamentale sur la frontière entre réalité et démence. James Cole, perçu comme dément par la société qui l’entoure, s’efforce de discerner le réel du chimérique dans un univers où les repères temporels se brouillent. Porté par la performance émouvante de Willis, le personnage de Cole oscille entre lucidité et délire, entre une clarté temporaire et des accès de paranoïa. La rencontre avec Jeffrey Goines, interprété avec brio par Brad Pitt dans un rôle effréné et chaotique, marque un tournant crucial dans l’intrigue. Goines, interné lui-même dans un hôpital psychiatrique, sème le doute quant à la réalité du virus et des Douze Singes. L’apport de Madeleine Stowe en la personne du Dr. Kathryn Railly, psychiatre compatissante et chercheuse de vérité, ajoute une dimension psychologique complexe à l’ensemble. Elle incarne la ligne de rationalité dans un monde où toute certitude semble se dissoudre dans la folie.

Plongeant au cœur du complot associé aux Douze Singes, l’auteur met en lumière la puissance oppressive des institutions et leur aptitude à manipuler l’opinion publique. S’inspirant des écrits d’Orwell, notamment 1984, le réalisateur propose une critique acerbe d’une société sous contrôle, où la surveillance permanente et la réinvention de la réalité servent d’instruments de domination. Gilliam fait écho à cette thématique en dépeignant une société où chaque individu fait l’objet d’une surveillance constante, que ce soit par les autorités ou par ses semblables. Les affiches omniprésentes et les murs couverts de slogans rappellent l’endoctrinement permanent auquel sont soumis les citoyens. L’utilisation récurrente de la technologie, inhérente à l’univers du réalisateur, renforce cette atmosphère oppressante. Les machines, les capteurs et les écrans reflètent une société soumise à la domination de forces supérieures.

L’Armée des 12 singes joue brillamment avec la perception linéaire du temps et nous convie à une réflexion philosophique sur la temporalité et le rôle que joue le passé dans la construction du présent et de l’avenir. Le voyage dans le temps, malgré sa nature perturbante et chaotique, fait écho à la fascination innée de l’humanité pour cette notion, ainsi qu’à notre quête perpétuelle de comprendre et de maîtriser le cours du destin. Le réalisateur exploite avec ruse la construction narrative non linéaire pour intensifier le sentiment d’incertitude et d’inéluctabilité des événements. Les sauts temporels s’emboîtent pour former une boucle temporelle où les actions passées influencent le présent, insufflant une impression de fatalité et de destin incontournable. Cela confère au récit une dimension énigmatique, chaque incursion dans le passé apportant de nouveaux indices pour dénouer l’intrigue complexe. L’Armée des 12 singes se démarque par le souci du détail apporté à ses images et à son esthétique globale. Gilliam fait preuve d’une mise en scène magistrale, créant des compositions visuelles oniriques qui laissent une empreinte indélébile dans notre mémoire. Les décors désolés, les costumes excentriques et les effets spéciaux soigneusement orchestrés offrent une expérience à la fois surréaliste et envoûtante. Il jongle aussi avec habileté entre des séquences sombres et oppressantes et des moments de clarté et de lumière. Les couleurs éclatantes tranchent avec les tonalités sombres et monochromes de la surface dystopique. La gestion de la lumière et des ombres renforce l’atmosphère intemporelle et inquiétante qui imprègne l’ensemble du film.

Le long-métrage aborde également, bien que subrepticement, des thématiques socio-politiques et écologiques. Il évoque la responsabilité humaine dans la destruction de l’environnement et met en exergue les luttes des mouvements écologistes. Les Douze Singes, en tant qu’organisation écologiste extrémiste, symbolisent à la fois l’espoir de préserver la nature et la possibilité d’un extrémisme aveugle. L’écriture souligne ainsi l’urgence d’une réflexion sur notre relation avec l’environnement et notre responsabilité collective envers la planète. Il invite le spectateur à remettre en question son mode de vie et à prendre conscience des conséquences de ses actes sur sa propre existence. Enfin, il convient de souligner l’héritage cinématographique de L’Armée des 12 singes et son impact sur la culture populaire. Terry Gilliam offre ici une œuvre novatrice et audacieuse, repoussant les limites du genre et suscitant la réflexion. Le film a également donné naissance à une série télévisée respectée, témoignant de la pertinence et de la puissance intemporelle de son récit. Il demeure un pilier incontournable de la science-fiction, rappelant constamment l’importance du cinéma comme vecteur d’exploration des recoins les plus obscurs de notre conscience.

C’est à découvrir au cinéma en version restaurée ou dans la sublime édition blu-ray par L’Atelier d’images.

L’Armée des 12 singes de Terry Gilliam, 2h10, avec Bruce Willis, Madeleine Stowe, Christopher Plummer – Ressortie au cinéma le 8 novembre 2023

8/10
Note de l'équipe
  • Louan Nivesse
    8/10 Magnifique
    Gilliam réussit à créer une atmosphère oppressante tout en suscitant une profonde réflexion sur la réalité, le destin, et l'impact de nos actions sur l'environnement. L'Armée des 12 singes reste un incontournable de la science-fiction et continue d'influencer le cinéma contemporain.
  • Vincent Pelisse
    7/10 Bien
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