[CRITIQUE] La Planète des singes : Le Nouveau Royaume – Héritage malmené

À la question du twist le plus conséquent de l’histoire du cinéma, celui de La Planète des singes se pose là. Cinquante-six ans après, les scénaristes d’Hollywood se creusent encore la cervelle pour expliciter ses raisons. Et après tant d’années et de suites, la saga paraît n’avoir effleuré qu’une infime partie de son potentiel. Les premiers films se sont pourtant donné du mal pour tourner cette entorse au darwinisme dans tous les sens, déclinée en fable apocalyptique, comédie sociale, guérilla urbaine et conte épique, en veillant à rester fidèle à la fibre satirique du roman fondateur de Pierre Boule. La trilogie la plus récente s’est même permise d’aborder la question à l’envers, en ne racontant plus le choc de civilisations simiennes et humaines établies mais comment la première naissait de l’irresponsabilité de la deuxième et, détail important, du point de vue des singes. Le Nouveau Royaume s’inscrit dans le prolongement de cette dernière lecture mais ne se risque pas à empiéter sur les films de Matt Reeves – les deux seuls opus à tutoyer celui de Franklin J. Schaffner.

La franchise joue les pseudo-reboots, une fois encore, en prenant ses distances avec un bond dans le temps de plusieurs siècles, et le statu quo s’en retrouve légèrement chamboulé : les hommes ont perdu leur langue et leurs infrastructures, désormais livrés à eux-même dans la nature, chassés comme des bêtes. En face, les primates non-humains ont largement pris l’ascendant sur le monde, maîtrisent l’artisanat et bâtissent des simili-sociétés, dont certaines prétendent agir selon les volontés de César. Le chimpanzé est bien mort il y a trois-cents ans (le prologue en remet une couche), mais ce dixième épisode reprend la splendide idée d’embrasser l’aura biblique du personnage et de jouer de l’ellipse pour évaluer la mystique de son héritage. Le film trouve là sa place dans la saga, en ajoutant de nouvelles cordes à son arc thématique, et pas les plus faciles à tendre, et en se faisant le chaînon manquant entre Suprématie et La Planète des singes, premier du nom.

“The Last of Apes”. – © 20th Century Studios.

Que le réalisateur du Labyrinthe s’y retrouve attaché n’est que peu surprenant. Depuis son court-métrage Ruin (une bande démo toute en numérique qui filmait un monde post-apocalyptique), la carrière de Wes Ball s’est rangée autour d’un seul et unique modèle iconographique : l’espace désolé, témoin du passage de l’homme et de ses empires (historiques, scientifiques, architecturaux), investi comme un terrain d’exploration par ses héros et sa mise en scène vertigineuse. Ball a beau essayer, son film n’est jamais traversé par la poésie des volets précédents, mais son expérience des horizons dévastés lui fait judicieusement prioriser la contemplation (via plans larges et travellings fluides) à l’empilement d’action. Le crapahutage des singes, suspendus aux restes des gratte-ciels, renseigne alors tout autant sur l’état du monde et sa beauté recouvrée (les blocs de bétons sont ensevelis sous la végétation) que sur la symbiose des singes avec leur environnement, eux qui sont désormais les maîtres de la planète.

Si leur règne était de tout repos, le blockbuster aurait certainement moins de choses à raconter. Le Nouveau Royaume casse la binarité qui s’était installée avec Suprématie (Reeves faisait s’affronter les gentils singes contre les méchants hommes) pour renouer avec l’une des caractéristiques ancestrales de la saga : un anti-manichéisme qui tend à des confrontations éternelles, internes ou externes aux espèces, et s’illustre via des paradoxes plus ou moins grinçants. Les simiens les plus pacifistes ne s’empêchent pas de domestiquer les animaux autour d’eux ; les plus hargneux pervertissent les enseignements de leurs aînés et versent dans le fanatisme religieux. Ses vieux épisodes dessinaient déjà des sectes et des extrémistes, mais la franchise impose un plan supplémentaire à sa peinture nihiliste : celui d’une corruption systématique qui ne passe plus seulement par la réplication – des pires défauts – de la civilisation humaine mais par un dérèglement inévitable des sociétés, même primitives. Des blockbusters excitants malgré cette charge de pessimisme, c’est pas souvent.

La Planète des singes : Le Nouveau Royaume de Wes Ball, 2h25, avec Owen Teague, Freya Allan et Peter Macon – Au cinéma le 8 mai.

7/10
Note de l'équipe
  • JACK
    7/10 Bien
    Dans la pure tradition de la saga, La Planète des singes : Le Nouveau Royaume alimente ce qu'il faut de réflexions politiques et civilisationnelles en assumant son rôle de film d'aventure excitant, mais également en insistant sur les nombreuses nuances de son univers pessimiste.
0
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *