Rencontres avec Terry Gilliam, Wes Anderson et Taylor Hackford – Excursion américaine (Festival Lumière 2023)

Avec une mise en avant du cinéma de patrimoine mais également contemporain, la 15e édition du festival Lumière nous mène au cœur de cet art visuel venant des quatre coins du monde à travers des rétrospectives, des séances présentées, mais aussi des masterclasses. Parmi ces discussions menées par Didier Allouch ou encore Thierry Frémaux, les États-Unis transcendent les cinémas lyonnais, arrivant de tous les horizons du pays américain.

TERRY GILLIAM, UN DRÔLE DE RÉALISATEUR

La semaine débute avec l’arrivée forte de Terry Gilliam. Venu présenté la restauration de L’Armée des 12 singes (1995), le cinéaste nous embarque dans son univers excentrique et sa propre vision du monde inhérente à cet univers. À l’image de ses œuvres, Gilliam débarque dans la pièce du Pathé Bellecour très énergique jusqu’à tomber sur le sol dans un éclat de rire et embrumant la salle d’une bonne humeur constante. Tout au long de cette discussion, on suit le parcours du cinéaste, son rapport au cinéma et la vision qu’il souhaite transmettre dans ses œuvres.

Bien avant qu’il acquière la nationalité britannique, c’est à l’âge de 23 ans, dans les années 60 lorsqu’il emménage à New York, que Gilliam perçoit le cinéma différemment. Sans vraiment réfléchir à ce qu’il voyait auparavant, la diffusion de multiples films considérés comme classiques à son arrivée dans la Grosse Pomme lui donnent finalement la volonté de « refaire tous les Buster Keaton ». La vision qu’il porte sur le monde artistique et de la vie en général est parsemée d’humour. Considérant le sens de l’humour comme primordial, le cinéaste fait l’éloge de l’autodérision. L’humour permet un voyage dans ce monde absurde qui nous entoure, une façon pour le cinéaste de penser le monde différemment avec le cinéma qu’il produit. En évoquant la gaieté qui anime ses créations, il revient évidemment sur l’évolution de l’humour, il insiste sur l’autocensure qui résonne dans l’esprit des individus. La liberté d’expression demeure donc primordiale dans la création.

Abordant la ressortie française de L’Armée des 12 singes, Gilliam revient sur la sortie de son extraordinaire Brazil (1985). Aussi kafkaïen qu’il laisse paraître, le film n’est pas un franc succès lors de ses premières séances et malgré les demandes d’Universal pour le modifier, le cinéaste résiste et ne cède pas, cela grâce à son arrogance et la vivacité qui l’habitent. Terry Gilliam valse au cœur du septième art en mettant à l’écran ses rêves les plus excentriques, vivre dans notre monde nécessite l’harmonie de l’imaginaire et de la réalité, comme le montre si bien notre artiste.

WES ANDERSON, CONTEUR D’HISTOIRES

Nous poursuivons avec la masterclass de Wes Anderson. Tenue à l’auditorium de Lyon et animée par Thierry Frémaux, deux des œuvres du cinéaste participent à la rencontre : son court métrage La Merveileuse Histoire de Henry Sugar (2023) sorti récemment sur Netflix ainsi que The Grand Budapest Hotel (2016). Invité phare du festival, Anderson est acclamé dès son entrée par l’entièreté de l’auditoire. Il nous fait part de sa volonté de « communiquer avec le public » à travers tous ses films, une façon d’établir un lien grâce à l’histoire qu’il nous conte. Le cinéaste a le désir de raconter « la bonne histoire » qui a su illuminer son esprit, mettre en avant cette dernière malgré son style esthétique particulier qui fait voyager chacun de ses spectateurs. Derrière l’image timide et réservée qu’il présente aux yeux de tous, Wes Anderson s’immisce sur nos écrans et nous partage cette tendresse qui illumine ses œuvres. Aussi bien qu’avec ses acteurs durant les tournages, l’artiste parvient à tisser ce précieux lien rempli de bonté avec son public.

TAYLOR HACKFORD, UN RÉALISATEUR RYTHMÉ D’ANECDOTES

Enfin, tout droit venu de Californie, Taylor Hackford pointe le bout de son nez dans la capitale des gones en cette semaine de festival. Il revient, au cours de la discussion, sur ses longs-métrages les plus populaires, notamment Ray (2004), L’Associé du diable (1997) ou encore Les Princes de la ville (1996). Accompagné d’une pointe d’humour, nous suivons les anecdotes de tournage de ses films bercés (ou plutôt rythmés) par la musique, tout comme l’est le réalisateur.

L’un des points cruciaux abordés par ce dernier n’est autre que l’importance du mouvement. Hackford nous illustre le sens du voyage, à la fois dans le temps et dans l’espace. La caméra suit le mouvement des acteurs, elle doit « observer » le mouvement mais ne doit pas l’être. Il prend l’exemple de son film Ray et en constitue pratiquement une analyse. Dans cette œuvre qui retrace la vie de Ray Charles, le long-métrage débute avec un train de vie heureux. Tout comme la vie du personnage, la caméra demeure stable. C’est à partir du moment où il perd l’usage de ses yeux, que la vie du musicien est bouleversée. L’idée d’une vie qui perd de son équilibre se traduit non seulement à travers le mouvement de la caméra mais aussi à travers des objets du décor qui prennent soudainement vie (au sens figuré), poussés par le vent ou toute autre force extérieure. La déconnexion totale de la Terre pour le personnage, le sentiment que « sa vie lui échappe » se manifeste pour nous, avec la prise de la caméra à la main par le chef opérateur. Cependant, il précise évidemment que sa stratégie change au fil des films et que celle-ci n’est qu’une parmi tant d’autres. Il revient sur le travail d’équipe lors de la création filmique, l’importance d’accorder le mérite à tous les individus qui y participent et pas seulement au réalisateur qui n’a « que » des idées.

Dans cette discussion longue et passionnante, Taylor Hackford poursuit en nous partageant un écho des personnages de l’univers musical. Que ce soit avec justement Ray Charles, qui l’a accompagné durant une dizaine d’années lors de la conception de ce film, qui fait usage d’enregistrements originaux, encore, parmi les plus cultes, Chuck Berry. Un musicien qui partage non seulement des différends avec Keith Richards mais aussi un rapport particulier à l’argent, personnage cupide qu’il est.

La brochette de réalisateurs issus des quatre coins du continent américain (même si l’un est britannique aujourd’hui) nous partage, à travers ces différentes saveurs, les visions du monde et du cinéma pour chacun. Des artistes qui embrassent une même passion, créant leurs œuvres à leur façon et surtout en mettant l’accent sur ce qu’ils considèrent, pour chaque, l’élément le plus important dans leur film ou lors de sa conception.

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