Le générique d’ouverture est un début animé et léger d’un film qui demeure avant tout fidèle à ces deux qualificatifs éponymes (La Belle et l’Ordinateur, en VF), bien qu’un troisième mérite également mention : la célérité. Mais abordons cette question plus tard. D’emblée, un esprit sincère, écrivant en cette troisième décennie du XXIe siècle, se doit de reconnaître que, pour un film datant de 1984, il a connu un vieillissement miraculeusement gracieux. Entendez par là que rarement un film ne semble autant marqué par son époque sous tous ses aspects. Cependant, c’est précisément cette caractéristique qui lui confère son charme singulier.
Pour l’heure, concentrons-nous sur l’intrigue. Miles Harding, architecte brillant mais désastreux dans sa vie personnelle, se trouve en perpétuelle incapacité d’être au bon endroit au bon moment, ou d’avoir toutes ses idées en ordre. Menacé dans son travail, il décide à contrecœur d’acquérir l’un de ces nouveaux ordinateurs portables capables de gérer les dates et les notes. Tel un assistant personnel, mais numérique. Sous les encouragements de la vendeuse enjouée, il se retrouve à acheter tout un ensemble d’ordinateurs domestiques, accompagnés de gadgets et d’accessoires permettant à son ordinateur de contrôler tous ses appareils domestiques, assumant ainsi la gestion de toute sa vie matérielle, dans une entreprise aussi improbable que risible. De plus, quel usage un architecte pourrait-il bien avoir d’un ordinateur ? Modéliser ses concepts architecturaux dans un espace tridimensionnel simulé, ou quelque autre futilité du même acabit ?
En effet, c’est précisément cela, et la révélation stupéfiante des capacités qu’un ordinateur peut offrir à son processus de travail qui convainc peu à peu Miles. Il décide donc de télécharger tout ce qui concerne son travail et ses conceptions, surchargeant ainsi l’internet de 1984 à tel point que son ordinateur commence à surchauffer. Pris de panique, Miles renverse un verre de champagne sur le clavier, provoquant une réaction étrange où le liquide se répand dans le disque dur de la machine, cristallisant et conférant ainsi à l’ordinateur une forme de conscience. C’est ainsi que les choses se déroulent.
Pendant ce temps, Miles écoute sa nouvelle voisine, Madeline Robistat, jouer du violoncelle. À sa grande surprise, son ordinateur s’y met aussi : son premier acte en tant qu’être conscient est d’improviser des variations sur la mélodie qu’elle joue, les interprétant à travers son synthétiseur vocal. Dès lors, l’histoire prend des directions relativement prévisibles : l’intelligence artificielle, se faisant appeler Edgar, et Miles tombent tous deux amoureux de Madeline, tandis qu’elle, séduite par la belle musique électronique qui lui est offerte à travers les murs, s’éprend de Miles. Bien que charmante, cette histoire reste néanmoins limitée. Il est clair que le triangle amoureux constitue le centre névralgique du récit, les cinéastes, sous la direction du réalisateur de clips vidéo Steve Barron et du scénariste Rusty Lemorande, y investissant l’essentiel de leurs idées, plutôt que de le considérer comme la force motrice du film. Il semble même que l’idée éculée du triangle amoureux, à la Cyrano de Bergerac, ait été choisie délibérément afin de ne pas faire obstacle au portrait fasciné des nouveaux horizons offerts par l’informatique et la musique synthétique.
Le résultat peu excitant de tout cela réside dans le manque d’urgence narrative d’Electric Dreams, en particulier au cours de ses premières quarante minutes, jusqu’au moment où Edgar acquiert le rudiment de la parole. Le rythme est d’une lenteur désespérante. Lorsque toute la justification narrative d’un film repose sur sa douceur sans être drôle et sa tendresse sans être profondément émotionnelle, il n’y a aucun avantage à ce qu’il traîne également en chemin. C’est là que réside toute la singularité du long-métrage : il offre une exploration approfondie d’un moment très spécifique dans l’évolution de l’ère de l’information. Visionner un film des années 1930, par exemple, nous confronte à des différences qui semblent à la fois accessoires et organiques – les attitudes, les comportements et la technologie sont certes étrangers, mais le processus qui a mené du point A au point B nous apparaît clair, comme faisant partie intégrante de l’histoire, une ère révolue mais dont nous avons évolué. En revanche il reflète, à bien des égards, parfaitement notre monde, au point qu’un film comme Her peut parler directement à notre culture contemporaine tout en explorant une variante légèrement différente des mêmes thèmes. Car oui, le long-métrage s’ouvre même sur une séquence ironique se moquant de ceux qui sont obsédés par les écrans clignotants de leurs appareils au détriment du reste de l’humanité, un commentaire visuel parfaitement adaptable à un film moderne, à condition de modifier les costumes.
Cependant, aucun moment ne semble même vaguement en phase avec le monde tel qu’il est aujourd’hui. La différence entre une époque où « les gens commençaient tout juste à comprendre les ordinateurs » et notre époque où « les gens utilisent les ordinateurs plusieurs centaines de fois par jour » s’avère bien plus significative que la différence entre cette dernière et une ère où « les gens n’ont même jamais entendu parler d’ordinateurs, car ils sont utilisés comme machines de décodage top-secret pour traquer les nazis« . Peut-être est-ce parce que notre monde ressemble tellement à celui d’Electric Dreams que chaque détail inexact semble particulièrement amplifié. Peut-être est-ce parce que les ordinateurs ne revêtent plus ce caractère mystique, et que les éléments que le film essaie de vendre comme mystérieux et incompréhensibles ne paraissent guère crédibles. Ou peut-être est-ce simplement le fait de voir des gens accomplir des actions que nous effectuons nous-mêmes, mais vêtus de vêtements et de coiffures des années 80. Quelle qu’en soit la raison, il ressemble à la lecture d’une transcription d’un rêve sous opium : nous percevons la réalité sous-jacente, mais l’effet global demeure surnaturel et étrange, et c’est précisément ce qui le rend si captivant.
C’est pourquoi ce film serait probablement ignoré, voire détesté à sa sortie : ce qui semble maintenant étrangement fascinant est simplement le quotidien en 1984. Ou du moins, le quotidien tel que vécu par les passionnés de technologie, en marge de la société bien-pensante. Ce qui persiste, c’est l’histoire, qui, avouons-le, n’est pas si captivante : Von Dohlen et Madsen incarnent des personnages agréables mais globalement fades et superficiels, ne laissant aucun véritable point d’ancrage de personnalité jusqu’à ce que Cort intervienne enfin avec ses répliques mécaniquement cinglantes, comme si HAL 9000 avait grandi en écoutant les Clash.
Mais même en tenant compte de ses propres termes, Electric Dreams ne se résume pas à son histoire. Les instincts de réalisateur musical de Barron dirigent le film plus que ses instincts narratifs. Cela se traduit par la prédominance d’images évocatrices mais souvent déconnectées : en exemple, le plan latéral de Miles dans l’univers de l’ordinateur, son visage s’affichant sur un moniteur de vidéosurveillance, le haut de son corps étant masqué. De nombreux plans de l’interface abstraite d’Edgar proviennent du même esprit, plus intéressés par leur esthétique graphique et leur résonance avec la culture informatique que par leur pertinence dans le contexte du scénario.
Mais au-delà de tout cela, les intentions du cinéaste confèrent au film une atmosphère principalement musicale, offrant ainsi un écrin à Moroder et à ses acolytes (dont les groupes Culture Club et Heaven 17). Ce n’est pas tant un long-métrage qu’une longue vidéo musicale, bien que dans une moindre mesure que Tron : L’Héritage. Et pourquoi pas ? Moroder est une icône de la musique électronique ; il est presque logique qu’il soit sollicité pour fournir la bande-son d’une histoire sur les sentiments des ordinateurs et leur expression à travers la musique. Cette symbiose paraît parfaite : rien dans le film ne rend Edgar aussi vivant que la musique, qui nous plonge littéralement dans son esprit au détriment de Miles et de Madeline. Comme Edgar se révèle plus fascinant que les autres protagonistes, ce n’est pas une perte réelle. La musique, imprégnée de l’essence du début des années 80, complète parfaitement cette capsule temporelle ; et elle peut être appréciée sans le moindre soupçon d’ironie, tout comme toute œuvre de Moroder. Le résultat final n’est peut-être pas un grand film, voire même un bon film, mais il est indéniablement captivant.
Electric Dreams de Steve Barron, 1h35, avec Lenny von Dohlen, Virginia Madsen, Maxwell Caulfield – Sorti en 1984