[CRITIQUE] La Troisième Guerre – Au cœur de la psychose

Premier long-métrage de Giovanni Aloi, La Troisième Guerre est une plongée dans l’inconscient de ces soldats de l’opération Sentinelle errant dans les villes françaises, arpentant les rues, dans l’attente de la moindre action. Giovanni Aloi et Dominique Baumard conte ici l’histoire de Léo Cordvard (Anthony Bajon) jeune soldat venant de terminer ses classes et étant impatient d’entrer dans l’action. Pour sa première affectation il va faire partie de l’opération Sentinelle, cette opération lancée en 2015 après la vague d’attentats ayant touché Paris et ayant pour objectif de faire patrouiller des unités près des “points sensibles”. La Troisième Guerre nous immerge au sein d’esprits brisés par la paranoïa et la psychose. Des esprits figés dans des corps immobiles jusqu’à ce que plus rien ne puisse retenir la frustration et la colère. Un premier long-métrage, non sans défaut, mais qui interroge son sujet complexe avec maturité et intelligence.

Adoptant un style ultraréaliste, presque documentaire, La Troisième Guerre mise beaucoup sur ses acteurs, et non sur ses personnages. Le trio principal, Anthony Bajon, Karim Leklou et Leïla Bekhti, est superbe mais doit faire face à une écriture presque caricaturale. En effet l’écriture des protagonistes est faible, peu d’éléments de leur passé sont évoqués tandis que leur développement est limité. Les acteurs les incarnant sont loin d’êtres immobiles, au contraire impeccable et surprenant, ils portent sur leur visage tout le conflit, entre l’esprit intérieur malade et les pressions extérieures qui habite leurs personnages. Le choix des acteurs est une des forces du film : Anthony Bajon vu dans La Prière, Teddy ou encore Les Méchants (les erreurs arrivent même aux meilleurs d’entre nous) est excellent tandis que Karim Leklou (11.6, Le Monde est à Toi et plus récemment l’excellent Bac Nord) et Leila Bekhti (Un Prophète, Tout ce qui brille et Le Grand Bain) apportent beaucoup de nuances et de questionnement sur le rôle de l’armée et notamment sur la place de la femme dans un milieu principalement masculin.

Directed by Michael Bay

La Troisième Guerre est un exemple parfait du pouvoir qu’a le cinéma pour jouer avec le temps, le dilater, l’étirer jusqu’à ce que tout cède dans un dernier acte d’une très grande beauté. J’ai décidé pour cette critique de ne pas spoiler le film, notamment la dernière partie, car tout l’enjeu du film réside dans cette question : l’attente va-t-elle cesser ? Cet ennui dans lequel les personnages sont enfermés ne rend pourtant pas le film lassant, de nombreuses scènes d’une grande tension viennent sans cesse stimuler le spectateur et lui faire ressentir toute la pression ressentie par les trois protagonistes. Giovanni Aloi filme sans cesse les militaires, mais avec une certaine distance, il ne valide pas l’opération Sentinelle mais la questionne sans cesse. Cette scène dans une rame de métro ou le regard des civils les jugent, cette manifestation où plus personne ne remarque le trio armé de Famas, l’opinion d’Aloi se dévoile par petites touches et donne à son long-métrage une plus grande profondeur.

La mise en scène d’Aloi sublime la prestation de ses acteurs en nous plaçant sans cesse de leur point de vue, ce qui renforce encore plus la tension. En tant que spectateur on se retrouve à épier chaque fenêtre, chaque coin de ces immeubles haussmanniens qui filmés en contre-plongée paraissent immenses. Si monumentaux qu’ils écrasent les protagonistes et les isolent encore plus du monde civil. La réalisation commence par filmer ces soldats comme des héros de films de guerre avant de les montrer de plus en plus vulnérables et détachés de la réalité. Pour le monde civil autour d’eux Paris est une ville pleine de vie, un lieu de fête tandis que pour cette unité la ville peut à tout moment devenir un champ de bataille. C’est la paranoïa qui vient fissurer le mythe du héros, c’est cette anxiété constante qui transforme peu à peu le soldat Corvard jusqu’à l’implosion. La bande originale du film, composée par Frédéric Alvarez, suit le même chemin. Pendant une grande partie du film, elle reste dans des sonorités angoissantes et anxiogènes avant de devenir beaucoup plus tragique dans le dernier acte. Tous les artifices du film concordent pour se réunir dans les trente dernières minutes ce qui renforce la puissance du final. La photographie ne fait pas exception et le film dévoile plusieurs idées visuelles dans ses dernières scènes qui permettent de terminer en beauté le long-métrage.

Toujours aux aguets

La Troisième Guerre est un premier long-métrage malin et mature qui arrive à traiter habilement son sujet sans jamais donner d’opinions préconstruites, il se contente de questionner ses personnages. La direction d’acteur, la mise en scène, la photographie et la bande originale réalisent seulement leur potentiel dans un dernier acte formidable, ce qui est à la fois une force et une faiblesse pour le film. En effet l’écriture des personnages étant caricaturale on s’attend d’une certaine manière à ce qui va arriver. Et le scénario jouant sur cet ennui, ce qui est une excellente chose, nous pousse tout de même à attendre un final plus traditionnel, c’est pour cette raison que je ne souhaite pas spoiler le film car je pense que le mystère entourant ces trente dernières minutes est important. C’est quoi le cinéma ? Le cinéma c’est Giovanni Aloi qui étire le temps encore et encore jusqu’à ce qu’il craque dans un final assourdissant. La Troisième Guerre entame ses dernières projections cette semaine et on vous encourage grandement à le voir.

Note : 3.5 sur 5.

La Troisième Guerre au cinéma le 22 septembre 2021.

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