J’ai récemment entrepris de revisiter l’intégralité de la filmographie de Steven Spielberg. Mon objectif était de redécouvrir ses nombreux chefs-d’œuvre, car il est indéniablement l’un des plus grands réalisateurs de notre époque. De plus, je souhaitais observer l’évolution d’un cinéaste dont les films ont considérablement influencé le cinéma américain au cours des cinquante dernières années. Ma décision a également été motivée par la récente sortie de The Fabelmans, qui ajoute une dimension mélancolique intéressante à bon nombre de ses longs-métrages.
Steven Spielberg est souvent perçu par le public comme un simple réalisateur de divertissements destinés aux enfants, mais cette idée est à la fois fausse et réductrice. En réalité, ses films sont souvent sombres et complexes. En entreprenant cette rétrospective personnelle, j’ai eu l’occasion de revisiter de nombreuses œuvres traitant de sujets sérieux et destinées à un public adulte. J’ai redécouvert tout son talent de metteur en scène, capable de raconter des histoires complexes de manière extrêmement fluide.
De plus, Steven Spielberg attache une grande importance à son pays natal, les États-Unis, et à travers son œuvre, il a laissé des représentations marquantes de l’histoire américaine, abordant des thèmes tels que le racisme, le terrorisme et les dynamiques familiales au fil des décennies.
Maintenant, par où commencer ma (re)vision de l’œuvre du réalisateur le plus célèbre de l’histoire ? Son premier film, Sugarland Express, est sorti en 1974, mais tout le monde connaît son précédent téléfilm, Duel, sorti en 1971. J’ai longtemps hésité entre ces deux œuvres pour entamer cette longue filmographie, mais quelque chose m’a frappé en revisitant certains de ses premiers courts-métrages : Spielberg est né dans le désert, mais pas celui de Duel. La véritable origine du cinéma spielbergien se trouve au cœur des étendues désertiques d’Amblin’, un court métrage de 26 minutes sorti en 1968. Amblin’ marque le début d’une filmographie des plus intéressantes du XXe et du XXIe siècle, et c’est pourquoi j’ai choisi de le mentionner ici.
Bien que j’aie choisi Amblin’ pour commencer ma rétrospective personnelle, je vais tout de même survoler les autres œuvres réalisées par le jeune Steven Spielberg avant celui-ci. Son premier court-métrage, The Last Gunfight, réalisé à l’âge de douze ans, est une histoire de vengeance d’un jeune garçon. Je ne vais pas tirer de conclusions extravagantes sur un film tourné par un enfant de douze ans passionné de cinéma, bien que certains critiques aimeraient sûrement affirmer que les influences de John Ford dans ce film préfigurent une partie de son cinéma, ou que l’absence de famille dans ce court-métrage symbolise les troubles familiaux futurs de Spielberg (alors que ses parents ne se sont divorcés qu’en 1964, soit cinq ans après la réalisation de ce court-métrage). Tout ce que je peux dire à propos de ce western, c’est que Spielberg a obtenu son badge de scout grâce à ce film, ce qui signifie que sa première récompense en tant que cinéaste était un badge de scout à l’âge de 12 ans pour The Last Gunfight.
Deux ans plus tard, en 1961, il réalise deux nouveaux courts-métrages traitant de la guerre, Escape to Nowhere et Battle Squad. Ce que l’on peut retenir de ces trois premières œuvres, c’est que Spielberg est un réalisateur ingénieux, capable de réaliser de grandes choses avec peu de moyens : des simulations d’explosions avec de simples jets de terre, l’incrustation d’images de documentaires sur la Seconde Guerre mondiale ou encore des plans astucieux d’un avion au sol donnant l’illusion qu’il est en vol. On peut donc imaginer ce qu’il serait capable de faire avec plus de moyens. Pour conclure sur les autres œuvres du cinéaste que je n’aborderai pas ici, il y a également Fireflight, sorti en 1964, un film de 2h20 qu’il a écrit et réalisé à l’âge de dix-huit ans. Ce film aborde des thèmes que l’on retrouvera plus tard dans sa filmographie, ce qui est intéressant pour comprendre ses débuts. Malheureusement, il est difficile de le trouver aujourd’hui, contrairement à Amblin’, qui me semblait donc plus approprié comme point de départ. Même si vous ne pouvez pas voir Fireflight dans son intégralité, essayez de trouver cette scène incroyablement ingénieuse où Spielberg représente des extraterrestres avec seulement trois ombres. Une idée que l’on retrouvera bien plus tard dans Rencontres du Troisième Type.
Arrêtons de parler des autres œuvres du jeune Spielberg (je ne vous parlerai pas non plus de l’épisode de Columbo qu’il a réalisé, ni d’un épisode de Night Gallery, une série de M. Quatrième Dimension Rod Serling), et concentrons-nous sur Amblin’, un court métrage d’une durée de 26 minutes. Ce court métrage a permis à Steven Spielberg d’être repéré par les studios Universal, qui lui ont offert un contrat de sept ans. Il a également remporté de nombreuses récompenses, ce qui lui a valu rapidement le respect de ses pairs et des attentes de la part du public pour son prochain film. Par conséquent, on ressent une certaine appréhension avant de revoir ce film, étant donné son importance dans la carrière du réalisateur.
C’est d’ailleurs pourquoi il a nommé sa société de production Amblin’, en hommage à ce court-métrage. Alors que ce n’est pas un chef-d’œuvre, il reste tout de même excellent pour un film réalisé en 1968 alors que Spielberg avait seulement 22 ans. Le choix d’un format muet, tout en permettant aux informations sur les personnages de passer clairement au spectateur, est déjà bien meilleur que la plupart des premiers courts-métrages d’autres réalisateurs (oui, je pense à toi Captain Voyeur de Carpenter). Amblin’ respire l’amateurisme : la plupart des membres de l’équipe ne sont pas rémunérés et les acteurs sont débutants. Pourtant, une passion émane de ce projet qui ne peut que vous émouvoir. On a l’impression d’observer une équipe d’amateurs luttant contre la chaleur du désert pour réaliser un court métrage, alors qu’en réalité, on regarde les débuts du plus grand réalisateur de l’histoire du cinéma, avec les images d’Allan Daviau (qui a notamment travaillé en tant que directeur de la photographie sur E.T. et Rencontres du Troisième Type) et le scénario d’Anne Spielberg, future nommée aux Oscars.
Depuis le début, je vous ai parlé de nombreux éléments extérieurs à l’œuvre pour vous convaincre de la regarder, mais s’il ne devait y avoir qu’un seul élément d’Amblin’ à retenir pour vous donner envie de le voir, une seule scène, alors la réponse est évidente. Cette scène a marqué un tournant dans le cinéma américain. Au cours d’une séquence, le personnage joué par Pamela McMyler fait une révélation importante que nous ne dévoilerons pas. Pour mettre en scène ce retournement, Steven Spielberg choisit de d’abord capturer l’émotion du personnage, sans nous montrer ce qui provoque cette émotion. Ensuite seulement, il nous montre la “surprise”. La plupart des réalisateurs auraient fait l’inverse dans l’espoir de surprendre les spectateurs. Mais le jeune Steven Spielberg choisit ici de se concentrer sur le visage de sa protagoniste, témoignant de sa confiance envers ses plans et ses personnages. Il laisse la caméra filmer l’émerveillement, la joie, la peur, l’horreur, la tristesse, la surprise, la curiosité ou encore l’interrogation. Avec cette scène, la “Spielberg Face” vient d’être inventée, une technique que l’on retrouvera à de nombreuses reprises dans toute sa filmographie. La “Spielberg Face” permet au spectateur de s’immerger complètement dans les personnages de l’œuvre, de ressentir ce qu’ils vivent. Que ce soit le moment où des Américains découvrent l’horreur des plages normandes dans Il faut sauver le soldat Ryan, l’instant où des scientifiques sont émerveillés devant des dinosaures dans Jurassic Park, ou encore lors du premier contact entre humains et extraterrestres dans Rencontres du Troisième Type, cette récurrence dans le cinéma spielbergien a commencé dans le désert avec Amblin’.
C’est quoi le cinéma avec Amblin’ ? C’est un court métrage touchant et ingénieux, d’accord, mais c’est surtout une œuvre importante qui annonce beaucoup de choses à venir. Ce n’est pas un hasard si Steven Spielberg et Kathleen Kennedy ont appelé leur maison de production Amblin’, en hommage à ce désert où quelque chose s’est créé, quelque chose qui invite à la rêverie et à l’émerveillement. C’est en résumé ce qu’est le cinéma, tout simplement.
Amblin’ de Steven Spielberg, 25min, avec Richard Levin, Pamela McMyler