[RETOUR SUR..] Duel – c’est une Bataille

Le concept de Duel se révèle d’une simplicité saisissante : un mastodonte routier, imposant, émettant ses vapeurs polluantes, manœuvré par un chauffeur sans visage, traque une voiture de taille modeste, pilotée par un homme ordinaire, le bien nommé David Mann (incarné par Dennis Weaver). Cette trame, d’une séduction évidente, a certainement suscité l’intérêt de nombreux cinéastes pour s’approprier le scénario sublimement dépouillé de Richard Matheson. Toutefois, entre des mains malhabiles, cette idée aurait pu se muer en une course sans relief, une trajectoire menant invariablement à l’ennui. Le premier long-métrage de Spielberg, initialement diffusé sur les ondes télévisuelles, a su conquérir critiques et louanges du public, s’étendant par la suite sur les écrans des cinémas à travers le monde. Il expose avec éloquence certains des tropes les plus emblématiques du style spielbergien, qui ont marqué les cinquante années qui ont suivi, et s’érige également, selon les propres mots du réalisateur, en un compagnon de choix de Jaws. En somme, il se présente comme un thriller d’action d’une finesse inégalée, où le génie ludique de Spielberg s’exprime dans toute sa splendeur.

Il serait réducteur de cantonner Duel à un simple “catalogue rétrospectif” de l’œuvre de Spielberg, mais cette perspective s’avère inévitable, tel est l’ampleur et l’acclamation de son œuvre. Cependant, il serait injuste de l’exclure du domaine réservé aux seuls initiés de Spielberg ; ce film peut être (et était au moment de sa sortie) apprécié par le spectateur lambda, même celui qui n’aurait visionné qu’une poignée d’œuvres du réalisateur. Dès les premiers instants, le spectateur saisit l’essence du récit : David, un représentant d’âge mûr, en route pour une réunion professionnelle, dépasse un colosse de métal roulant avant que celui-ci ne décide de lui rendre la pareille. Ainsi débute ce jeu captivant du chat et de la souris, où le camion se transforme en traqueur acharné, poursuivant David et sa voiture à travers les déserts brûlants de l’Amérique. Dennis Weaver incarne à la perfection ce citoyen ordinaire, dont la paranoïa engloutit rapidement son arrogance latente. Nous ne connaissons de lui que peu de choses, si ce n’est qu’il a une épouse, à qui il téléphone depuis une station-service au début du récit, et qu’il exerce la profession de représentant. Le choix délibéré de ne pas approfondir davantage ce personnage contribue à renforcer la force du film, permettant à l’action de primer sur toute autre considération et démontrant que David incarne véritablement le citoyen lambda, confronté à une série d’événements terrifiants qui pourraient frapper n’importe qui.

Copyright Solaris Distribution

Quatre années après Duel, Spielberg accouche d’une œuvre majeure, sans doute l’un des meilleurs blockbusters de tous les temps, Jaws. Un moment particulièrement évocateur de celui-ci met en lumière les parallèles entre ces deux films de manière éclatante. David se trouve garé sur le bas-côté d’un tunnel, tentant de venir en aide à un autobus scolaire en panne. Surgit alors le camion, à l’autre extrémité du tunnel, une présence sombre et menaçante, ses contours à peine perceptibles. La partition originale de Billy Goldenberg résonne en arrière-plan, conférant une ambiance saisissante à la scène, alors que le camion demeure immobile, telle une créature à l’affût. Spielberg octroie ainsi une sorte de regard au camion, la machine observant David tel un prédateur scrutant sa proie. Cette représentation fascinante de l’opposition entre l’homme et la machine trouve des échos profonds avec Jaws et le requin chassant les humains. Des plans distants du requin en traque rappellent l’image du camion traquant David, surtout lorsque ce dernier se met en mouvement à l’intérieur du tunnel, s’avançant vers sa cible, tel le célèbre aileron de requin de Jaws. Dans ces deux premiers films de Spielberg, un léviathan, qu’il soit vivant ou mécanique, se dresse soudainement et inexplicablement contre des individus ordinaires, plongés dans une lutte pour leur survie. Ces deux œuvres, captivantes à l’extrême, distillent une tension palpable et indéniablement angoissante.

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La mise en scène de Spielberg, associée au montage de Frank Morriss, confère à Duel une intensité implacable qui ne faiblit jamais, même dans ses moments les plus contemplatifs. Le montage vif et incisif de Morriss dynamise les scènes de poursuite automobile, les hissant à un niveau de tension insoutenable, exacerbant la peur de David. Spielberg sait habilement où et quand porter l’attention du spectateur, que ce soit sur le visage crispé d’angoisse de David, sur la fumée s’échappant du pot d’échappement du camion, sur l’impact imminent du véhicule prédateur, ou sur de vastes plans capturant la course effrénée du duo infernal. Même lors des instants les plus calmes, tels que la pause repas de David dans une halte, le scénario de Matheson maintient une tension constante, à travers les pensées embrouillées et les monologues intérieurs du protagoniste, tout aussi évocateurs que le silence oppressant.

Dans une carrière aussi éclatante et éclectique que celle de Spielberg, sa plus grande force réside toujours dans sa capacité à créer des thrillers aussi subtils qu’entraînants, des divertissements purs et parfaits. Si son travail des années 1990, plus émotionnel et sérieux, avec des films tels que La Liste de Schindler, ou ses incursions plus récentes dans le domaine politique, avec des œuvres comme Pentagon Papers et Le Pont des espions, témoignent de sa grande diversité en tant que cinéaste, c’est dans ses œuvres les plus ludiques que Spielberg atteint son apogée. Des films comme Jaws, E.T. l’extra-terrestre et Jurassic Park capturent les aspects merveilleux et enfantins de notre imaginaire, nous enchantant encore et toujours à chaque visionnage. Duel ne fait pas exception. Il se distingue comme une perle du genre thriller d’action, un film d’une tension magistralement entretenue qui retiendra le spectateur captivé, de la première à la dernière des 86 minutes de son déroulement.

Duel de Steven Spielberg, 1h32, avec Dennis Weaver, Jacqueline Scott, Eddie Firestone – Sorti le 21 mars 1973

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