[CRITIQUE] Vortex – De battre mon cœur s’est arrêté

Si l’on vous conviait à considérer un cinéaste capable d’orchestrer une étude discrète et mélancolique sur les affres douloureuses de la vieillesse, vous ne songeriez probablement pas spontanément à Gaspar Noé. Il se trouve que Noé figure parmi les enfants terribles de notre vénérable cinéma français, tristement célèbre pour des œuvres percutantes telles qu’Irréversible et Enter the Void. Son dernier opus, Climax (2019), a peut-être connu une réception quelque peu plus favorable auprès du grand public (en grande partie grâce à quelques séquences de danse remarquablement chorégraphiées), mais demeurait néanmoins un tourbillon d’excès, de substances illicites et de comportements radicaux. Qu’on l’admire ou qu’on le réprouve, rares sont les metteurs en scène en activité possédant un regard aussi acéré sur le cinéma de l’horreur. Ainsi, c’est avec une certaine appréhension que j’ai abordé l’œuvre la plus récente de Noé.

Loin des sauvageries et des psychopathes qui peuplent ses précédents métrages, Vortex s’inscrit davantage comme une introspection intimiste portant sur un couple de personnes avançant en âge, aux prises avec les tourments du déclin mental. Bien qu’il, à maints égards, soit aussi ardu à contempler que toute autre création de ce réalisateur, il démontre une remarquable empathie et devrait incontestablement trouver sa place dans tout foyer, quelle que soit sa composition.

© 2021 Rectangle Productions – Wild Bunch International – Les Cinemas De La Zone – Knm Artemis Productions – Srab Films – Les Films Velvet – Kallouche Cinema

Le long-métrage plante le décor dans l’exiguïté d’un appartement parisien, havre de vie pour un couple de seniors (incarnés par Françoise Lebrun et Dario Argento). Elle, ancienne psychiatre ; lui, écrivain et critique de cinéma vieillissant. Toutefois, il est manifeste que les jours glorieux des deux protagonistes sont désormais derrière eux : elle, amorçant les premières étapes de la démence, voit ses pensées créatives s’évaporer dans des annotations de plus en plus indéchiffrables. Le « twist », si l’on peut dire, réside dans le choix de Noé d’encadrer tout le film en split-screen, chaque moitié du couple occupant son propre espace (se croisant par moments). D’un côté, nous observons le père, surnommé ainsi, s’efforçant laborieusement à sa machine à écrire et à des appels téléphoniques distraits. De l’autre, la mère s’adonne à des tâches de plus en plus absconses, mais visiblement capitales pour elle, quoique pour personne d’autre. Leur fils, Stéphane (Alex Lutz), leur rend visite de temps à autre, veillant au bien-être de ses parents, même si, comme nous le découvrons progressivement, il est lui-même accablé par ses propres démons.

À sa manière, il se révèle être un film d’horreur au même titre que toutes les autres œuvres de Noé (ou d’Argento, pour être juste). Nous sommes témoins, avec une crudité saisissante, des ravages du temps sur l’esprit humain. La performance de Lebrun, notamment, est d’une déchirante vérité : son visage, un tourbillon d’inquiétude tandis qu’elle s’affaire à ses rituels, oscillant parfois entre le non-sens et la peine. Quant au père, bien qu’encore lucide, son obstination et sa fragilité physique en font un bien piètre protecteur pour son épouse déclinante (j’appréhendais, en allant voir le film, que la présence d’Argento ne soit qu’un artifice distrayant, mais il s’avère crédible et se fond dans son rôle. Il est évident que rien de bon ne peut émerger de la situation précaire de ce couple, cependant, comme souvent dans la réalité, l’issue demeure obscure.

© 2021 Rectangle Productions – Wild Bunch International – Les Cinemas De La Zone – Knm Artemis Productions – Srab Films – Les Films Velvet – Kallouche Cinema

Et pourtant, malgré une atmosphère indéniablement poignante, ce film révèle une tendresse à fleur de peau. Une mention spéciale dans le générique initial dédie le film à “ceux dont le cerveau se désagrège avant le cœur“, une dédicace qui s’applique assurément à ces deux personnages. Même si la mère est déconnectée de la réalité et que ses agihttps://cestquoilecinema.fr/tag/alex-lutz/ssements rendent son mari chancelant, il est évident qu’un amour tendre les unit toujours.

Il est également manifeste que l’inquiétude de Stéphane pour ses parents est authentique, tout comme sa frustration de se sentir impuissant à les secourir. Lorsque les trois hommes se rassemblent pour discuter de leur avenir, c’est un échange franc et sincère, rarement observé au cinéma, et peut-être encore plus rare dans la vie réelle. Si le long-métrage parvient à susciter ne serait-ce qu’une poignée de spectateurs à entamer des conversations délicates sur la fin de vie avec leurs proches, il pourrait alors s’avérer être l’un des films les plus positifs et les plus éclairants de l’année. Bien sûr, étant donné qu’il s’agit d’un film de Gaspar Noé, il convient de peser le pour et le contre avant d’y emmener ses aînés. Bien que Noé manifeste une indéniable empathie pour ses personnages, toutes les malheurs imaginables leur arrivent, et il y a des moments où le film semble figé dans l’observation d’un accident de voiture d’une lenteur insoutenable. Il est difficile d’espérer une fin heureuse en entrant dans Vortex, mais une pause, même brève, pour soulager les sanglots serrés, aurait pu être bienvenue.

Cependant, ils sont pris dans un tourbillon : celui de leurs propres facultés déclinantes et de la spirale descendante inhérente à la vie. La décrépitude exposée ici nous attend tous, si nous sommes assez chanceux. Vortex représente un moment de cinéma exigeant, et je ne sais pas quand, ou même si, je ressentirai le désir de le revoir, mais il demeure une œuvre sobre et solide d’un réalisateur qui n’est pas réputé pour ce registre. Au minimum, il devrait inciter à des réflexions concrètes et sérieuses, ou du moins, à un appel à vos (grands-)parents, si la vie vous les a encore épargnés.

Vortex de Gaspar Noé, 2h22, avec Françoise Lebrun, Dario Argento, Alex Lutz – Le 13 avril 2022 au cinéma

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