[RETOUR SUR..] Enter the Void – Dur comme la drogue (Festival Lumière 2023)

Gaspar Noé, le cinéaste réputé de la sphère contemporaine, se distingue par sa propension à choquer et à confronter le spectateur à ses plus profondes appréhensions, tout en explorant les abîmes de l’âme humaine. À travers chacune de ses réalisations, il ose transcender les conventions du cinéma en sondant des territoires ténébreux et en usant de dispositifs cinématographiques radicaux. Enter the Void, son œuvre magistrale, s’inscrit indubitablement dans cette continuité, mais elle revêt également une importance capitale dans l’évolution de sa carrière.

LE GÉNÉRIQUE ÉLECTRISANT ET L’EXPLORATION INITIALE DE TOKYO

Dès les premières secondes, Gaspar Noé nous plonge dans un univers hypnotique à travers un générique en lettres avec effet néon, défilant à une vitesse vertigineuse. Ce choix visuel et sonore induit la notion d’un périple audacieux et éprouvant, annonçant ainsi le caractère inédit de ce film. L’invitation à “Entrer dans le vide” constitue un défi lancé au spectateur, l’incitant à s’immerger totalement dans cette expérience sensorielle.

La première partie du film se consacre à l’établissement du dispositif narratif et visuel, à travers l’adoption d’une caméra subjective, intimement liée au protagoniste principal, Oscar, incarné par Nathaniel Brown. Évoluant à Tokyo, Oscar incarne un jeune trafiquant dont la vie se rythme au gré de la drogue et de l’extase. Cette approche immersive permet au spectateur de ressentir de manière intense les sensations et les émotions d’Oscar. L’utilisation de plans-séquence et de l’éclairage néon engendre une atmosphère visuelle étourdissante, fidèlement reflétée par la vie nocturne trépidante de Tokyo, ainsi que par les altérations sensorielles découlant de l’usage de substances psychotropes. Cette immersion se voit sublimée par la bande-son hypnotique de Thomas Bangalter, qui accompagne de manière immersive notre expérience sensorielle.

© Wild Bunch Distribution
ENTRE LES MONDES ET LA RÉMINISCENCE

La prématurité de la mort d’Oscar, survenue à la suite d’une poursuite policière, cristallise un moment décisif dans le métrage. Sa transition vers l’au-delà se révèle visuellement époustouflante et chaotique. Gaspar Noé exploite habilement le concept du “Livre des morts Tibétain,” ouvrage que le personnage consultait préalablement, pour nourrir la trame narrative. Oscar évoque alors des fragments cruciaux de son passé, incluant son enfance heureuse et le traumatisme engendré par la perte de ses parents. Cette partie du film joue avec la perception temporelle et mémorielle, créant un contraste saisissant entre la tumultueuse vie nocturne de Tokyo et les moments de sérénité et de réflexion d’Oscar. Dans une troisième phase, le film prend une dimension nouvelle en permettant à l’esprit d’Oscar de vagabonder dans Tokyo, tout en observant les vivants poursuivant leur existence comme si de rien n’était. Cette perspective accrue confère une immersion renforcée, Oscar pouvant désormais pénétrer l’esprit de toute personne et contempler le monde à travers leurs yeux. Cette exploration visuelle et émotionnelle gagne en intensité grâce à la diversité des lieux visités, incluant notamment un Love Hotel aux décors changeants, ajoutant une dimension visuelle frénétique à l’ensemble.

L’audace de Gaspar Noé transparaît dans son approche, repoussant les limites du classicisme. La caméra subjective, véritablement enchevêtrée à Oscar, permet au spectateur de s’immerger de manière totale dans son expérience. Cette démarche suscite une connexion émotionnelle puissante avec le personnage, malgré la rareté des apparitions de son visage à l’écran. Cette virtuosité technique se manifeste également à travers des plans-séquence habiles et des angles de caméra insolites, comme des plongées à 90 degrés et des sauts dans le vide. Noé nous entraîne dans un voyage au-dessus de rues illuminées par les néons et à travers des appartements aux murs phosphorescents, créant ainsi des images saisissantes.

© Wild Bunch Distribution
LA PROVOCATION ET LA FRONTALITÉ DES ÉMOTIONS

Gaspar Noé suscite fréquemment des controverses en raison de sa propension à la provocation et à la frontalité dans la représentation de la violence et de la sexualité. Toutefois, dans Enter the Void, ces éléments s’inscrivent dans une logique narrative et émotionnelle plus vaste. Le film confronte le spectateur à des scènes de sexe crues et à des décès violents, mais plutôt que de les présenter comme des provocations gratuites, il les utilise pour explorer les tabous et les émotions humaines. Le spectateur se retrouve convié à une réflexion sur le voyeurisme inhérent au cinéma, ainsi que sur notre identification aux personnages de fiction. Enter the Void offre une expérience oscillant entre malaise et vertige. Le film transporte le spectateur dans un périple hallucinatoire, le poussant à confronter des émotions et des sensations d’une intensité extrême. Cette créativité sensorielle s’associe à une narration fragmentée et chaotique, exigeant de l’audience une participation active pour recomposer le puzzle narratif.

Enter the Void constitue une œuvre ambitieuse et parfaitement aboutie, repoussant les limites de la narration et de la mise en scène. Qu’on l’apprécie ou la récuse, il demeure indéniable que Gaspar Noé signe ici une œuvre remarquable, suscitant la réflexion et l’émotion.

Enter the Void de Gaspar Noé, 2h30, avec Nathaniel Brown, Paz de la Huerta, Cyril Roy – Sorti en 2010

9/10
Note de l'équipe
  • Louan Nivesse
    10/10 This Is Cinema
    Enter the Void constitue une œuvre ambitieuse et parfaitement aboutie, repoussant les limites de la narration et de la mise en scène. Qu'on l'apprécie ou la récuse, il demeure indéniable que Gaspar Noé signe ici une œuvre remarquable, suscitant la réflexion et l'émotion.
  • Vincent Pelisse
    8/10 Magnifique
  • William Carlier
    8/10 Magnifique
  • Cecile Forbras
    9/10 Exceptionnel
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