[CRITIQUE] Matrix Résurrections – Un “déjà-vu”

Lorsque les sœurs Wachowski, Lana et Lilly, ont bouleversé de manière irrévocable le panorama cinématographique (et par la même occasion, la culture populaire) avec leur opus intitulé “Matrix” en 1999, une œuvre de science-fiction philosophique qui interrogeait profondément la nature même de l’existence, il n’a guère étonné que le studio à l’origine du film, Warner Bros, sollicitât leur génie pour en créer d’autres. Elles s’exécutèrent en 2003, donnant ainsi naissance à Matrix Reloaded et Matrix Revolutions. Cependant, les autorités en place sont avides de toujours plus, conduisant ainsi à une nouvelle suite de la trilogie, Matrix Résurrections, surgissant dix-huit ans après. Mais il ne s’agit point d’une redite banale. Le film nous convie plutôt à questionner la pertinence des prolongations, des réamorçages et de l’incessant brassage de la franchise, surtout lorsque la leçon première de Matrix résidait dans l’éveil au système, suivi de la volonté de le faire s’effondrer.

Lana Wachowski se plonge, animée d’un enthousiasme contagieux, dans cette tâche quasiment insurmontable consistant à renouer avec la matrice pour y extraire le code et y dénicher des idées neuves. Sa sœur Lilly n’est point de la partie dans Matrix Résurrections, mais Lana a fait appel à l’éminent écrivain David Mitchell, auteur du roman Cloud Atlas, que les Wachowski ont porté à l’écran en 2012, ainsi qu’à Aleksandar Hemon, scénariste de leur série Netflix Sense8, afin de collaborer à la rédaction du scénario. Le résultat se présente comme une réinterprétation rapide, autoréflexive, souvent empreinte d’humour et résolument novatrice du matériau, où la sœur Wachowski réévalue les personnages existants et l’héritage de Matrix, tout en brodant sur la trame narrative de nouvelles idées et de nouveaux détails. Il s’agit davantage d’un réajustement que d’une simple reprise, et cette fois-ci, c’est couronné de succès. Lana Wachowski insuffle une nouvelle vie à l’univers, introduisant un ensemble de personnages passionnants qui revêtent à la fois des caractéristiques familières et inédites. Il est réjouissant de retrouver ces figures aimées, dont certaines se sont métamorphosées en des incarnations plus séduisantes (Jonathan Groff, Yahya Abdul-Mateen II et Priyanka Chopra Jonas en sont des exemples éloquents).

© 2021 Warner Bros. Entertainment Inc. and Village Roadshow Films North America Inc.

L’intrigue de se révèle, en effet, familière. Un homme répondant au nom de Thomas Anderson (Keanu Reeves) mène une existence monotone et dénuée de passion derrière un bureau, cependant, une conviction tenace l’habite, celle que sa destinée réserve autre chose pour lui. Cette fois-ci, il incarne un créateur de jeux vidéo, l’architecte d’un jeu révolutionnaire nommé Matrix, dont la trame narrative s’appuie essentiellement sur la première trilogie de films. Le jeu naît de ses souvenirs en tant que Néo, bien qu’il en soit lui-même peu conscient. Sous la pression de son supérieur, Smith (Groff), Thomas et son équipe sont contraints de réaliser un remake du jeu. Cependant, un nouveau groupe de hackers, mené par la brillante Bugs (Jessica Henwick), s’attèle à décrypter le code à la recherche de Néo. Dès lors qu’ils localisent Thomas et lui offrent à nouveau le choix entre la pilule rouge pour s’échapper de la matrice, le nouveau Néo n’a qu’un objectif en tête : revenir en arrière et retrouver son amour profond, Trinity (Carrie-Anne Moss). Ce film aborde avec une singularité passionnante le thème du “re”, du redémarrage, du remix, de la réinvention, de la résurrection (au sens propre) de l’homme qui s’est sacrifié pour nos machines, une légende qui a inspiré une toute nouvelle génération, Bugs et son équipe d’androgyne inclus. Ce renouveau apporte un souffle nouveau au récit, qui pourrait autrement être perçu comme une astucieuse allusion à la culture des suites, mais le film se montre également profondément sérieux et sincère, particulièrement lorsqu’il s’attarde sur la romance centrale, l’amour en suspens entre Néo et Trinity.

Lana Wachowski confère à Matrix Résurrections cette combinaison subtile de sérieux et de divertissement, tout en nous rappelant que les grands films d’action peuvent être également empreints de finesse, superbement élaborés et, pourquoi pas, riches en couleurs. Elle convie le public à savourer autant qu’elle-même prend plaisir à revisiter cet univers qui initialement a marqué sa carrière, exprimant un enthousiasme irrévérencieux et contagieux à travers cette résurrection. La conclusion, avec son appel à “peindre le ciel avec des arcs-en-ciel”, résume parfaitement l’attitude de Lana Wachowski dans ce dernier voyage dans la Matrice.

Matrix Resurrections de Lana Wachowski, 2h28, avec Keanu Reeves, Carrie-Anne Moss, Yahya Abdul-Mateen II – Au cinéma le 22 décembre 2021

3
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *