Plus d’un an après son triste décès, Godard est toujours dans l’actualité cinématographique. Ce mois-ci, nous pouvons découvrir en salles Film annonce du film qui n’existera jamais : « Drôles de Guerres », ainsi que deux autres œuvres au Festival de Cannes. La première s’intitule Scénarios, dont la dernière séquence fut tournée la veille de sa mort, tandis que la seconde est un accompagnement, presque un guide, de ce même court-métrage. Ce « Film annonce … » est un enchainement de plans fixes qui représentent à la fois des citations, des images et des notes sur la préparation du fameux « Drôles de Guerres ». Le tout est parfois entrecoupé d’extraits sonores de Notre Musique, film que le cinéaste à réalisé en mai 2004, et qui ressort spécialement pour ses 20 ans ce mois-ci. Alors comment appréhender cette œuvre posthume, qui est au croisement entre film et document expérimental ? Voyons (et écoutons) le comme une œuvre somme, qui récapitule l’une des intentions les plus louables du réalisateur suisse : mettre au même plan le fond et la forme.
Œuvre somme ? Oui, car le film reprend plusieurs aspects issus du reste de la (longue) filmographie Godardienne. Tout d’abord, l’existence même du projet, un film annonce, est une pratique que le cinéaste a l’habitude de réaliser pour d’autres de ses long-métrages, et que l’on peut rapprocher des bandes-annonces qu’il a également conçu. Les combats politiques sont toujours aussi présents, et la voix de Godard évoque aussi bien l’Ukraine que la Palestine. Le film n’entend pas clôturer l’œuvre, mais plutôt la prolonger. L’écriture du réalisateur, ainsi que sa parole, sont tremblantes et hésitantes, représentant sa vieillesse avancée. Malgré tout, il continue d’innover et de créer, il continue de vivre. Sa détermination à prolonger les liens entre fond et forme évoque nombre de ses derniers films, Histoire(s) du cinéma et Adieu au langage en tête. Il fait se résonner des œuvres de matériaux différents sur la surface la plus neutre possible (une toile blanche), et crée de nouvelles matières grâce à la présence du spectateur.
Il cite un ver poétique, découpe des photos issues d’un livre d’histoire, colle des captures d’écrans provenant d’internet, dessine à la peinture, repasse au marqueur fluorescent et insère des extraits de l’un de ses propres longs-métrages. Toutes ces manières de créer résonnent entre elles et avec les pensées du spectateur, qui ne peut s’empêcher d’être ému par cette création protéiforme. Pour citer un exemple personnel, j’ai vu ce film lors d’une double séance avec le documentaire Godard par Godard, sorti en 2023. Je ne pouvais donc m’empêcher de le faire résonner avec certains de ses films, et plus particulièrement avec une citation du dit documentaire. Godard explique face caméra que les gens adorent parler de ses films mais détestent rester les voir. Quelques minutes plus tard, pendant la projection de Film annonce du film qui n’existera jamais : « Drôles de Guerres« , je pouvais entendre les fauteuils claquer et les spectateurs partir de la salle alors que se déroulait le film. Même avec un film posthume, il ne pouvait s’empêcher d’avoir raison, et d’émouvoir ceux qui restent.
Film annonce du film qui n’existera jamais : « Drôles de guerres » de Jean-Luc Godard, 20min – Sorti le 8 mai 2024.