[CRITIQUE] Mandibules – Taureau trop trop rigolo

Bien qu’on ne devrait pas lui faire confiance pour faire fonctionner de la machinerie lourde, il ne devrait pas être farfelu de lui confier a Manu (Grégoire Ludig) la livraison d’une valise : ce dernier ne posera pas de questions. Surtout quand on lui donne un salaire décent. Manu a aussi besoin de cet argent. Il a perdu sa maison et dort enveloppé dans une couverture sur la plage (trop) près de l’eau. Toute petite aide est la bienvenue et l’obtention de ce paquet lui donne une excuse pour voler une voiture qu’il pourra ensuite utiliser comme hébergement. Pourquoi le colis doit-il être livré via un coffre de voiture ? Probablement parce que tout le monde sait que Manu le perdrait autrement.

Ce Manu est un personnage parfaitement adapté pour les comédies surréalistes et absurdes du scénariste/réalisateur Quentin Dupieux dont Mandibules pourrait être le film le plus court (77 minutes) et le plus stupide (dans le bon sens du terme) à ce jour. Ici, Manu décide de passer par la station-service familiale de son meilleur ami Jean Gab (David Marsais) et de le recruter comme compagnon de route. Pourquoi terminer le travail le plus rapidement possible quand une virée avec son copain tout aussi stupide dans une vieille voiture battue semble tellement plus satisfaisante ? Ce n’est pas comme s’ils avaient prévu de conduire moins d’un kilomètre avant d’entendre des bruits provenant du coffre. Une mouche géante de la taille d’un chien y est enfermée. Cela change complètement leurs motivations. Un transfert facile avec paiement garanti est grand mais que diriez-vous de lancer les dés sur une idée complètement absurde mais avec un revenu beaucoup plus supérieur ? Là où Manu voit cette mouche comme gênante (Comment peut-il mettre une valise dans le coffre si une mouche géante est dans le chemin ?), Jean Gab voit l’opportunité. Il se demande s’il peut entraîner cet insecte à être un voleur et donc à les aider à commettre des vols sans jamais sortir de leurs sièges. Montrez-lui une photo de leur cible, retirez le ruban d’emballage qu’ils ont fixé autour de ses ailes, et attendez qu’elle revienne. Leurs petits cerveaux croient même que cela fonctionnerait sur les banques comme si la mouche pouvait exiger l’accès à la chambre forte.

Ce qui suit est un road movie plein de mésaventures et de chance vers cet objectif. Ils auront besoin de trouver un endroit pour entraîner leur pupille loin des regards indiscrets. Ce sera peut-être la caravane d’un étranger (Bruno Lochet) ou peut-être la maison de vacances de quelqu’un (India Hair) qui pense que Manu est une vieille connaissance de classe qu’elle n’a pas vue depuis des années. Tant qu’il ne fait pas sauter l’endroit pendant que Jean Gab s’occupe de la mouche avec de la nourriture pour chat comme gâteries, ils pourraient rester dans un endroit assez longtemps pour faire des progrès. Des bizarreries s’en suive, des appels rapprochés les conduisent au précipice de l’exposition, et Adèle Exarchopoulos crie dans nos oreilles en raison d’une incapacité à moduler sa voix. Il ne faut en dire beaucoup plus car Mandibules se révèle assez faible en ce qui concerne l’intrigue. Les chemins empruntés par Manu et Jean Gab sont donc un moyen pour Dupieux de créer des scénarios stupides et des réactions bêtes afin de s’assurer que le voyage ne se terminera pas prématurément. Ludig et Marsais sont extrêmement attachants malgré leur mépris égoïste pour les sentiments, le temps ou la charité de qui que ce soit grâce à leurs tendances survivalistes insensibles qui ne deviennent jamais un sous-produit de la malice. Ils ne veulent pas blesser ceux qu’ils ont blessés. Ils ont juste besoin de les mettre hors de portée pour remplir leur mission à demi-cerveau. Ainsi, pour chaque bicyclette licorne et chaque chien malchanceux laissé sur le bord de la route, il y a une tentative sérieuse de domestiquer une créature dont ils ne réalisent probablement pas qu’elle mourra dans vingt-huit jours ou moins.

Et peu importe à quel point les choses deviennent absurdes, chaque image se déroule avec une sincérité absolue. Agnès devrait être ennuyeuse (amener Exarchopoulos à crier simplement avec une énergie suffisante et plus sainte que toi pendant vingt minutes de temps d’écran est un coup d’État) et pourtant nous rions chaque fois qu’elle ouvre la bouche parce que la pure stupidité de l’inclusion de son personnage est légitimement drôle. Cela aide que Manu et Jean Gab aient la mâchoire molle d’esprit qui les garde aussi incertains de leur prochain mouvement, car cela signifie que personne n’a la moindre idée de ce que Dupieux a dans sa manche. Alors n’essayez même pas de deviner. Abandonnez-vous aux singeries ridicules et délectez-vous des absurdités que procurent deux idiots pris dans une épreuve unique dans une vie. La seule chose plus folle que leurs impulsions est finalement de découvrir qu’elles sont parfois inexplicablement correctes.

Mandibules de Quentin Dupieux, 1h17, avec Grégoire Ludig, David Marsais, Adèle Exarchopoulos – Au cinéma le 19 mai 2021

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