En Indochine – le pays, pas le groupe – l’armée japonaise attaque un groupe de la Légion Etrangère française. Cet assaut, qui a véritablement eu lieu le 9 mars 1945, force le groupe de soldats à devoir s’enfuir à travers la jungle. Bonne nouvelle : des renforts les attendent. Mauvaise nouvelle : ces derniers sont à plus de trois cents kilomètres, que nos bons soldats vont devoir accomplir à pied. Dès ce pitch, et le titre du film Les Derniers Hommes au pluriel, un problème fondamental se pose : la question du point de vue. Le film raconte donc cet épisode guerrier méconnu sans jamais réussir à trouver un véritable personnage central. Une perte de repère qui emporte le spectateur avec elle. On y suit tantôt une dizaine de légionnaires, dont les seules caractéristiques sont des clichés sur leurs nationalités respectives, tantôt deux d’entre eux, les chefs du groupe. Quel est le point de vue de cette odyssée ? Le réalisateur David Oelhoffen tente une solution, qui s’avère rapidement vaine, avec une voix-off qui souligne l’importance d’un personnage, en lui attribuant le rôle de narrateur. Il devient de facto le point de vue du film puisque ses pensées incarnent la narration. Une tentative d’orienter le spectateur dans une direction qui finit pourtant par le perdre encore plus.
La solution miracle du réalisateur, une voix-off omniprésente, est utilisée pour tous les problèmes du film, sans réussite. Le contexte géopolitique ? Expédié en quelques lignes par le narrateur qui ne semble pas s’intéresser à la question coloniale – et le film non plus. Les bornes temporelles ? C’est cette même voix qui indique au public les jours passants et le temps écoulé, un aveu sur la manière dont les images échouent à transmettre ces informations basiques. Pourtant la jungle, territoire dont lequel on peut se perde géographiquement et métaphoriquement, semblait être un parfait terrain d’essai. L’intériorité ? Puisque l’on à accès aux pensées d’un personnage il n’y a que peu de places aux questionnements entourant sa santé mentale, encore un coche raté. Le film tente tout de même quelques rares fois de mettre en doute la psyché du protagoniste avec des pseudo-hallucinations. Cette voix-off est décidément une mauvaise idée pour palier au manque d’incarnations du reste des personnages.
Quel genre de film est Les Derniers Hommes ? S’il n’est pas un film choral, pas une œuvre introspective, pas une réflexion sur le système colonial et surtout pas un questionnement de l’autorité. Est-il au moins un film de guerre ? Oui, et étonnamment bien d’ailleurs. Durant deux heures, le petit groupe va devoir affronter la faim, la soif, une attaque de tigres, des embuscades par les Japonais, des trahisons, des infections dû à un serpent et des tensions internes. Un menu maxi best-of de tout ce que les Américains ont déjà représenter lors de leurs nombreux films sur un autre conflit en Asie : le Vietnam. David Oelhoffen en reprend certains clichés et réussit plutôt bien ses séquences de guerre grâce à un montage sonore particulièrement oppressant et une alternance entre scènes de détente et soudaines séquences brutales. Le soud-design nous plonge immédiatement dans le film avec de nombreux bruits de jungle : animaux, vent, pluie, feuillages et bruits de pas au loin. Une excellente idée, à vocation d’immersion réaliste, qui se retrouve vite parasitée par cette fameuse voix-off. Néanmoins, elle se tait dans quelques rares moments, les séquences de fusillades (que l’on semble attendre avec joie). C’est d’ailleurs dans ces moments que le film déploie tout son talent, puisqu’il a auparavant évacué la question politique, et donc seul la bêtise des guerriers subsiste. Une critique du monde guerrier particulièrement efficace à l’écran. Les péripéties endurées par le groupe ne sont pas originales, mais elles suffisent à nous garder en haleine, et surtout alerte.
Résultat mitigé donc pour Les Derniers Hommes. La faute à beaucoup de raisons comme nous l’avons vu, voix-off et péripéties répétitives, mais surtout à un manque d’enjeu dû à ce contexte historique peu expliqué. Les enjeux de cette guerre, au crépuscule de la Seconde Guerre Mondiale, ne sont que peu développés ce qui rend l’ensemble flou. Un défaut qui rend les actions des soldats bien plus violentes en ne leur donnant aucun justificatif, critique d’une guerre sans but pour la légion étrangère. Vouloir se focaliser sur quelques rares personnages, dans un objectif ultraréaliste, pourrait sembler être une bonne idée de mise en scène. Pourtant le cinéaste ne développe jamais cette idée et se contente donc de profiter de ce point de vue réduit pour évacuer la question politique et coloniale de son film. A la manière de Kathryn Bigelow quand elle offre un point de vue réduit d’événements politiques complexes : les émeutes de Détroit, la traque d’Oussama Ben Laden et l’invasion en Irak. Ses points de vue se concentrant sur l’expérience de personnages uniques n’ont pas pour vocation d’analyser l’ampleur d’une situation complexe, et c’est pour cela qu’ils développent la pensée et la psychologie des protagonistes. Ce que Les Derniers Hommes ne fait pas une seule seconde.
Les Derniers Hommes de David Oelhoffen, 2h00, avec Guido Caprino, Nuno Lopes, Andrzej Chyra – Au cinéma le 21 février 2024