[REVIOWZ] Bone Tomahawk – La fracture et l’anachronisme de Zahler

Le cinéma américain s’est toujours posé en représentation du peuple, qu’on le veuille ou non. Il en découle le genre fondateur qu’on aimerait presque voir renaître sans cesse dès qu’un cinéaste se met à le tuer : le western. Le western est le genre américain par excellence, celui qui s’est posé dès le départ, notamment grâce à l’Histoire des États-Unis, comme un portrait des mythes américains en représentant six grands cycles : le peuplement (Les conquérants d’un nouveau monde, DeMille, 1947), les guerres indiennes (Les Cheyennes, Little Big Man ou encore Le Soldat bleu), la guerre de sécession, le bétail (La rivière rouge), le conflit mexicano-texan, le banditisme et la loi. Nombreux sont les metteurs en scène à s’être attaqués à ce genre, et de fait, à ces représentations de l’Amérique, suivant leurs époques. Steven Craig Zahler en est un de plus et son western, Bone Tomahawk, constitue son premier long-métrage en tant que réalisateur et scénariste.

Mais qu’en est-il de l’objet en lui-même ? On parle quand même de l’apparition d’un nouveau cinéaste dans le paysage cinématographique américain depuis 2016 (date de sortie de Bone Tomahawk qui sera récompensé au festival de Gérardmer cette année-là mais qui ne bénéficiera pas d’une distribution en salle), et surtout d’un premier film prometteur mêlant la forme classique du western avec des accents horrifiques pour le moins surprenants.

Bone Tomahawk, c’est un point de départ simple qui rappelle The Searchers de John Ford (1956). Bright Hope est une ville paisible dans laquelle un bandit échoue après avoir vu son compagnon se faire tuer dans un cimetière indien. Le shérif de la ville, interprété par Kurt Russell, l’arrête en lui tirant une balle dans la jambe. Une jeune femme, Samantha, va devoir le soigner en prison et devra veiller sur lui durant la nuit. Le lendemain, elle et le blessé ne sont plus là, et se sont certainement fait enlever par des Indiens cannibales. Un groupe composé du shérif, de son adjoint, du mari de Samantha et d’un résident de la ville nommé John Brooder vont partir à sa recherche.

Le film, doté d’un petit budget (à peine deux millions de dollars), pourrait se résumer à sa scène introductive : deux bandits qui volent et tuent des voyageurs vont se voir être les proies de quelqu’un qu’on ne verra que succinctement, sinon sous la forme d’une créature vue de loin lorsqu’elle tuera un des deux bandits venus se balader dans le cimetière d’Amérindiens. Des chasseurs devenus chassés en l’espace de cinq minutes. C’est ce que va tenter de mettre en scène Zahler pendant une grande partie du film, lorsque le groupe des personnages emmené par Kurt Russell va se mettre à la recherche de Samantha : trouver ce qu’on ne connaît pas, ce qui n’est pas montré explicitement ; à savoir des Indiens cannibales dont la représentation demeure majoritairement hors champ.

Il est important de rappeler qu’avant d’être réalisateur, Steven Craig Zahler est scénariste et surtout romancier, un conteur dont le motif principal se caractérise dans la description des personnages avant même de raconter son histoire. Il le dit lui-même, ses acteurs ont besoin de biographies pour comprendre leurs personnages avant de savoir quoi que ce soit. Dans Bone Tomahawk, on sent que ce qui fait avancer le récit, c’est la capacité ou non que vont avoir les personnages à se poser les bonnes questions, à rester dans l’action le plus possible pour réussir leur tâche qui est de ramener une jeune femme sans défense à son lieu d’habitat.

Le film, étant relativement classique dans sa forme, se construit sur deux points de vue majoritaires : Franklin Hunt et Arthur. L’un étant le shérif, l’autre étant le mari de Samantha. Arthur, encombré d’une fracture à la jambe, doit suivre les instructions du shérif. Le shérif, lui, doit garder son code moral. Si tant est que les relations de camaraderie entre les quatre personnages soient tout à fait pacifiques, on peut constater que ce n’est pas sans problèmes non plus. Chicory, l’adjoint du shérif, vit pour protéger Kurt Russell et se définit sans doute comme le plus simplet de la bande. Arthur, lui, n’est là que dans un seul but, celui de retrouver sa bien-aimée. Quant à John Brooder et son passé trouble avec le massacre de sa famille par des Indiens, celui-ci n’a qu’un plan en tête et de ce fait, se joint parfaitement à la bande, à un détail près : il n’a pas de code moral, sinon peu.

C’est là l’une des particularités du cinéma de Zahler qui en fait un auteur quoique qu’on en pense : les intentions des personnages correspondent, à la base, au professionnalisme américain ; ce qu’a su représenter le cinéma hollywoodien par excellence avec les films d’Howard Hawks par exemple. Être américain, c’est accomplir une tâche, c’est le professionnalisme. Pourtant, Zahler met constamment en danger ses personnages et leur éthique par l’incursion du genre : ici l’horreur, à la limite du fantastique. Ce qui rend Bone Tomahawk si surprenant, c’est la force spectaculaire de ses trente dernières minutes. Arrivant dans l’antre des Indiens troglodytes, les personnages doivent faire face à toute l’horreur qu’ils s’imaginaient, enfermés petit à petit dans le cadre comme dans l’environnement. Alors l’incarnation de cette violence, très héritée de la série B au sens noble du terme, représente toute l’épouvante et, au fond, la haine qu’éprouvent les personnages. Quand bien même Chicory, Brooder, Franklin Hunt et Arthur ont des principes, ils vivent dans un monde (ici, le Far West) qui les amènera à commettre des actions violentes pour pouvoir faire face au sens des priorités. C’est là que Zahler touche autant au côté spectaculaire que peut donner le genre en lui-même qu’au côté carnavalesque, sinon presque kitsch, de ces saillies gores.

La violence de Bone Tomahawk est pourtant bel et bien brutale et dégoûtante, affirme Zahler, contrairement à son deuxième film, Brawl in Cell Block 99, qui utilise la catharsis. L’Indien est ici le monstre, mais l’homme est-il mieux, en vérité ? Zahler tranche dans la représentation, en tout cas, mais laisse le spectateur juger de la violence présente à l’écran.

Bone Tomahawk est un film anachronique et pourtant intéressant dans le cadre de l’horreur et du western. Le cinéma a beau aboyer, c’est par la petite lucarne que Zahler montre les crocs.

Bone Tomahawk de S. Craig Zahler, 2h12, avec Kurt Russell, Patrick Wilson, Matthew Fox – Sorti le 11 mai 2016 en VOD et en DVD

1
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *