[CRITIQUE] Le Royaume des Abysses – Atroce beauté

Vous avez cru qu’un film d’animation prenant place dans un restaurant-sous-marin appartenant à un chef-clown magique, avec des morses et des loutres comme personnel, et des clients aquatiques accrochés à leurs téléphones, où une fillette humaine de 11 ans est le personnage principal, pouvait être considéré comme un film pour enfants ? Vous êtes bien crédule. Vous êtes un sot. Un parfait imbécile (c’est ironique, c’est la campagne marketing qui a merdé). Ce long-métrage est d’une noirceur telle – osant aborder sans réserve les thèmes de la maltraitance infantile et de la cruauté mentale, tout en tenant la jeune Shenxiu (doublée par Wang Tingwen) responsable du comportement des adultes qui l’entourent – que seul un imbécile le projetterait devant un public de moins de 12 ans. Bien que les adolescents mélancoliques pourraient, certes, l’apprécier. Cette sombre atmosphère est peut-être également amplifiée par une animation d’une beauté singulière, imprégnant chaque image d’un réalisme lacéré, peuplant les moindres recoins d’une richesse visuelle rappelant les chefs-d’œuvre du cinéma jeunesse. Parfois, les petites loutres, habituellement serveuses dans le restaurant, se métamorphosent en animaux et entonnent des mélodies. Mais derrière ces détails anthropomorphiques et cette profondeur visuelle, se cache un scénario d’horreur saisissant, culminant en une conclusion funeste. Cette alliance entre esthétique et traumatisme a incontestablement valu au film sa place dans divers festivals, mais en tant que tel, il est bien difficile de le recommander. Le réalisateur Tian Xiaopeng a façonné une œuvre d’une beauté atroce.

Copyright 2023 Beijing October Media Co., Ltd

Shenxiu part en croisière avec son père, sa belle-mère et son petit demi-frère, tous oubliant qu’il s’agit de son anniversaire. Lorsqu’elle tente d’envoyer un message à sa mère, elle réalise que ce dernier remonte à un moment où celle-ci lui demandait de cesser de la déranger. Seule et délaissée, elle parcourt un livre pour enfants relatant l’histoire des Hyjinx, une créature magique évoquée par sa mère. Ainsi, lorsque Shenxiu est projetée par-dessus bord et émerge sur une bouée en forme de canard, tenant toujours fermement son téléphone, la présence des Hyjinx à ses côtés ne la surprend guère. Cette entité, essentiellement une boule de poils noirs et d’yeux, connaît la berceuse chantée par la mère de Shenxiu, menant ainsi la jeune fille jusqu’au restaurant-sous-marin appartenant à Nanhe (doublé par Su Xin). Cependant, Shenxiu provoque une série d’accidents, attirant sur elle les malédictions des autres, notamment de Nanhe, qui la considèrent comme un porte-malheur. Or, les Hyjinx représentent l’ingrédient nécessaire pour permettre à Nanhe d’obtenir cinq étoiles pour son restaurant ; et il est évident que seule Shenxiu peut convaincre ces créatures de rester. Un accord misérable est donc conclu : Nanhe gardera Shenxiu en vie si elle mérite sa place en travaillant, à condition qu’il ne fasse pas de mal aux Hyjinx. Une fois le restaurant gratifié de cinq étoiles, Nanhe aidera Shenxiu à retrouver sa mère. Mais bien entendu, personne n’est digne de confiance et la mer demeure une maîtresse impitoyable. Et le pire reste à venir.

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Nanhe est un choix troublant pour incarner un adulte dans un film théoriquement destiné aux enfants, et ce, non seulement parce qu’il fume. Paré de maquillage de clown la plupart du temps – des étoiles rouges sur les yeux et du rouge à lèvres accentuant sa bouche déjà imposante – il concocte des mets grâce à des processus magiques souvent répugnants à observer. S’attardant principalement aux tables, il déverse des insultes d’une cruauté inouïe sur la pauvre Shenxiu. Cette dernière semble accepter son sort avec une résignation terrifiante pour une enfant. Toutefois, d’autres personnages finissent par compatir à son sort, aggravant ainsi sa détresse. Et les événements prennent une tournure encore plus sinistre. La conclusion du Royaume des Abysses laisserait même les adultes les plus équilibrés et joviaux sans voix, tant elle est cauchemardesque. Aussi logique soit-elle, elle reste d’une tristesse insoutenable. Vous plongez dans un univers miyazakiesque, sans toutefois rêver comme il se doit.

Le Royaume des Abysses est principalement synonyme de tristesse indicible. Bien qu’inventif visuellement, avec une animation qui ferait verser des larmes aux équipes de Pixar et de Ghibli, il est aussi nihiliste et épouvantable qu’on peut le craindre. Vous n’aurez qu’une envie en sortant de la salle : sortir vos enfants de là. Il est cruel de proposer un tel désespoir à un public enfantin. Comme un cauchemar hurlant, il est préférable de l’oublier.

Le Royaume des abysses de Tian Xiaopeng, 1h52 – Au cinéma le 21 février 2024

4/10
Note de l'équipe
  • William Carlier
    3/10 Simple comme nul
    Un florilège de détails animés dans le Royaume des Abysses, au profit d'une intrigue maigre reprenant celle de Spirited Away. L'image est vomie par le rythme au fur et à mesure des scènes, tant il n'y a pas de temps mort. Tout se ressemble, jusqu'à la lassitude.
  • Vincent Pelisse
    4/10 Passable
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