[CRITIQUE] Alerte Rouge – Cet objet pétillant du désir

Le court-métrage Bao réalisé par Domee Shi était une belle surprise à sa sortie, évoquant déjà le désir d’indépendance d’un jeune enfant envers ses parents. Alerte Rouge s’inscrit dans sa continuité, quitte à reprendre également le pain baozi sur certaines scènes, en développant le passage d’une jeune fille au stade de la puberté. Il y avait pourtant de quoi être méfiant sur ce long-métrage, la bande-annonce laissant présager un film assez mineur et très enfantin. Il n’en en est rien, Pixar Animation Studios assumant sur toute la durée du film son ambition artistique, soit celle de parler à chaque enfant de ce réveil des sens pour le moins imprévisible.

La liberté est une valeur souvent revendiquée au sein des films Pixar, qu’il s’agisse de l’expression (Vice-Versa) malgré la différence d’un individu à un autre (Ratatouille). Alerte Rouge trouve sa justesse en contrebalançant cela avec son humour à rappeler Monstres & Cie, le monstre se réveillant heureux à l’opposé de la vie triste de cette fille sous son apparence la plus normale. C’est le moyen d’évoquer la naissance du désir et de l’attirance envers le sexe opposé, mais bien évidemment le développement des organes sexuels par le biais de cette transformation en Panda roux. Hilarant d’absurdité, cet animal est aussi la représentation du folklore chinois dans le film, les mères ayant également pu s’en imprégner. Une idée géniale donc, puisque le Panda est la première victime de ces femmes, et non pas celui qui mène la danse. Suivant une même logique que celle de Vice-Versa, Domee Shi exploite la métaphore animale comme le contrôle absent des émotions et ressentis de la jeune fille, qui excitée, ne parvient pas à gérer ce qu’elle pense ou même ce qu’elle fait.

Il y a un joli parallèle qui se fait ainsi entre le teen movie et le film de monstre, le rythme instauré permettant d’alterner entre intime (le besoin de se confier) et explosif (la peur d’être découverte). Soit ce qui est retrouvé au sein de la bande-originale composée par Ludwig Göransson, contribuant simplement mais efficacement à l’énergie propre du long-métrage. Il s’agit aussi du premier film Pixar évoquant la sexualité frontalement, le fantasme allant en réalité construire ce futur Panda roux, comme le regard des parents sur la chose. Amenant à une prise de conscience collective de la sphère adulte, Alerte Rouge se conclut sagement vis-à-vis de l’apparition/disparition de l’animal. La transformation est toujours possible, jusqu’au vieil âge où les désirs multiples peuvent s’exprimer. Elle l’est encore plus lorsqu’un enfant ne connaît pas encore l’adolescence.

Meilin n’est pas responsable de son comportement ni de ce qu’elle devient, elle réagit inconsciemment, et se sent paradoxalement mieux dans son corps et esprit. Maligne d’introduire un rituel chaman dans l’intrigue, la réalisatrice se moque gentiment d’une culture en questionnant le sens d’une telle manœuvre aperçue en fin de film. Pourquoi faudrait-il faire disparaître ce qu’il y a de plus inné en nous ? Un questionnement universel typiquement Pixar, qui redonne le sourire en ne prenant pas les enfants pour des imbéciles. Le film s’adresse même directement à eux sur l’épilogue, ont-ils eux-aussi découvert leur Panda Roux ? Un brisement du quatrième mur touchant, d’autant plus qu’il s’adresse à tout enfant, et il est évident que Domee Shi n’a pas détaillé son personnage au hasard. Victime de moqueries à l’école en plus d’une rumeur propagée, elle est introvertie donc encore moins sujette à exprimer ce qu’elle ressent. Ses amies sont marginales et revendiquent au contraire leur identité, un trio qui ne cesse de donner espoir puis vie aux rêves de Meilin.

Cette écriture soignée des personnages ne serait rien s’il n’y avait pas de discours sur les potentielles dérives d’enfants livrés à eux-mêmes. La réalisatrice exploite sur ce point merveilleusement les obsessions d’une nouvelle génération biberonnée au réseau social, véritable culte de l’ego afin de trouver la popularité. Meilin est elle-elle davantage victime de la transformation physique que de cela ? Domee Shi questionne sur le danger existant de la sphère technologique, où les parents n’ont pas nécessairement maîtrise de la chose a contrario de leurs parents respectifs lorsqu’ils avaient le même âge. Le temps passe effectivement, et les normes sociales ne sont plus les mêmes, ce que la mère de la fille lui dira d’ailleurs. Si le conflit mère-fille pouvait concerner l’amour porté à un garçon pour le mariage, il l’est aujourd’hui pour d’autres raisons également, comme celle de se donner à tous publiquement sans réellement en connaître les conséquences.

La direction artistique comme l’animation est splendide, et ce n’est pas faute de le redire, il semble que Pixar Animation Studios ne cesse de repousser à la longue ses quelconques difficultés en la matière. Des rêveries jusqu’aux passages les plus pops du film, les couleurs sont parfaitement ajustées à chaque scène, représentant habilement l’exaltation des ressentis de la jeune fille. On se plait aussi à contempler les belles séquences de poursuite de jour, et le lieu de recueil des pandas, situé en pleine forêt de bambous. Une qualité visuelle qui ne faiblit pas, d’autant plus que la mise en scène ne perd jamais en fluidité. Rappelant à quelques égards certains tics de Brad Bird, le style de Domee Shi s’adapte très bien au propos de l’intrigue.

Alerte Rouge peut se permettre de ne pas éviter certains codes du Pixar film retrouvés moult fois, tant il est pertinent dans son approche de la transformation enfant/adulte dans un moment clé de la vie d’un enfant. Il y a effectivement peu de films d’animation qui parviennent à faire le juste milieu, sachant être humoristique quand il le faut sans oublier ce qui en fait sa saveur : son propos. Les films Pixar ne sont jamais aussi efficaces que lorsqu’ils disposent d’un message construit pas à pas, distillant des éléments concrets et retrouvés d’une réalité certaine à un univers fictif. Preuve que le studio ne dépérit pas, cette nouvelle vague d’auteurs semble l’avoir assimilé. On ne va pas s’en plaindre, tant il y aura toujours matière à discuter sagement des obsessions humaines.  

Alerte Rouge de Domee Shi, 1h40, avec Rosalie Chiang, Sandra Oh, Ava Morse – Sur Disney+ le 11 mars 2022, débarque au cinéma le 18 février 2024.

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