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[CRITIQUE] Sauvages – Pas d’âge pour l’engagement politique (Annecy Festival 2024)

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Par Kimly Del Rosario

Située en Asie du Sud-Est et partagée entre les océans Indien et Pacifique, la magnifique île de Bornéo demeure parmi les cinq plus grandes îles de la planète. Elle abrite, au cœur de sa forêt tropicale, une riche biodiversité composée de milliers de plantes et d’espèces animales, mais surtout, le tout dernier chef-d’œuvre de Claude Barras : Sauvages.

Le thème de la lutte écologique contre la déforestation en Asie du Sud-Est revient une fois de plus sur nos écrans. Après la sortie de La Promesse verte il y a quelques mois, Sauvages, le second long-métrage du réalisateur suisse, est présenté au Festival de Cannes ainsi qu’au Festival du film d’animation d’Annecy. Le film nous conte les trois jours que passe la jeune Kéria dans la forêt. Adolescente des plus banales et adepte du smartphone, Kéria prend sous son aile un bébé orang-outan – une espèce très menacée – qu’elle découvre sur le lieu de travail de son père, une plantation de palmiers à huile. Au même instant, son cousin apparaît dans sa vie, tentant d’échapper aux conflits qui entourent sa famille indigène, opposée aux grandes compagnies productrices d’huile de palme qui s’implantent de force sur leurs terres. Ensemble, le duo tente d’aider, à sa manière, le peuple indigène dans sa lutte contre ces menaces.

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À la croisée de divers thèmes comme la technologie, la lutte écologique, le concept de civilisation et la famille, Barras puise son inspiration dans son enfance. Profondément influencé par le mode de vie de ses grands-parents dans les Alpes suisses, le cinéaste retranscrit cet artisanat dans son film d’animation, utilisant le stop motion qu’il considère comme « une forme de résistance au monde de la virtualité et des ordinateurs », et limite au maximum l’utilisation de produits chimiques dans la conception de ses personnages. Le minutieux travail de stop motion s’accompagne de magnifiques paysages. Le spectateur est plongé dans la forêt ancestrale, de jour comme de nuit, où il peut observer une multitude de plantes et d’animaux, jusqu’aux plus petits détails comme la mousse présente sur les pierres et les arbres. Déambulant dans cette faune, le point de vue du spectateur est celui de Kéria. Le film, initialement destiné aux enfants, met en scène une héroïne de la même génération, perdue sans son téléphone, méprisante envers ce qui est considéré comme « sauvage » et très éloignée de la nature. L’aspect presque didactique du film permet de sensibiliser le public à des enjeux à la fois politiques et sociaux. La technologie n’est pas critiquée ici, au contraire, le mode de vie des indigènes s’adapte aux dernières avancées technologiques et se révèle même être la solution aux problèmes abordés. Le véritable méchant présent n’est autre que le dirigeant de la compagnie forestière. Évidemment, pas d’écologie sans lutte des classes. Chaque détail du personnage renvoie à son origine sociale, que ce soit par son vocabulaire, son ton ou encore ses vêtements : on y voit ainsi un citadin bourgeois caricatural portant ses lunettes de soleil, une veste en tweed et des mocassins.

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Barras a ainsi fait un travail impressionnant sur les accessoires des personnages. Aidé par le peuple Penan, qu’il a rencontré à Bornéo, la conception minutieuse de chaque élément rend chaque scène fascinante à observer et à apprécier. Au-delà de l’aspect visuel, le son joue également un rôle central dans l’immersion du spectateur. Dès les premières scènes, on entend les innombrables bruits émis par la forêt, permettant de s’y plonger pleinement à chaque instant ; on peut même, si on a l’ouïe fine, distinguer les animaux présents. Lors de ses entretiens tenus, Barras insiste aussi sur l’importance du rôle de Nelly Paysan dans la conception du film, issue du peuple Penan et mariée à un Français. Elle a non seulement traduit les dialogues en langue penane, mais a également, avec sa fille, interprété deux personnages clés de la famille : la mère de Selaï ainsi que la grand-mère. Le film met en lumière une véritable collaboration entre le réalisateur et le peuple dont il s’inspire, la touche anthropologique qu’il a pu acquérir durant ses années d’études à l’Université se fait ici bien ressentir.

En effet, le concept de civilisation a durant plusieurs années été l’objet de débats en anthropologie. Cristallisée en Europe durant le XVIIIe siècle, la notion de civilisation s’oppose aux peuples indigènes considérés comme « sauvages » ; dans cette idéologie raciste, l’argument principal repose sur le fait que la civilisation occidentale est plus avancée, un peu comme si celle-ci était la finalité à atteindre. Comme le montre le film à travers le regard de Kéria dans la première partie, ces individus sont perçus non pas comme différents, mais comme sauvages. La poursuite des aventures de la jeune fille contre justement cet évolutionnisme ancré dans l’esprit occidental qui place l’Occident au-dessus des autres cultures en montrant que les peuples indigènes sont loin d’être des animaux mais seulement des êtres humains respectables aux modes de vie simplement différents de notre société capitaliste.

Sauvages est un long-métrage parfaitement réussi, qui s’impose dans le cinéma d’animation grâce à sa réalisation époustouflante, que ce soit par son travail sonore minutieux, l’écriture de ses personnages ou encore son magnifique stop motion. Son engagement politique, quant à lui, lance tous les cris et les SOS, partant dans les airs.

Sauvages de Claude Barras, 1h27 – Au cinéma le 16 octobre 2024.

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