[RETROSPECTIVE] Smiley Face – Sourire à la marijua..vie, vie !

Gregg Araki, éminent représentant du mouvement du Nouveau Cinéma Queer, s’est érigé en un cinéaste dont l’œuvre a constamment bousculé les conventions et les normes du cinéma. Sa trilogie d’apocalypse adolescente des années 90, composée de Totally Fucked Up, The Doom Generation et Nowhere, a attiré l’attention sur les tourments et les luttes des jeunes individus queer, établissant ainsi son statut de pionnier du cinéma queer. Cependant, au cœur de sa “renaissance Arakienne”, une réévaluation de son travail met en lumière un film singulier : Smiley Face. Paru en 2007, cette comédie à l’odeur de cannabis apporte une contribution unique au genre en mettant en scène une protagoniste féminine, interprétée avec une conviction stupéfiante par Anna Faris.

Historiquement, le genre de la comédie “stoner” a représenté un territoire largement dominé par la gent masculine, où les péripéties se concentraient sur les aventures d’hommes cis-hétérosexuels, aux prises avec des problèmes liés aux femmes, à la stagnation de leur carrière, à l’infantilisation sociale et à un sentiment général d’inadéquation. Des classiques tels que Faut fumer le joint et la saga Cheech & Chong ont jeté les bases de cette prédominance en se penchant souvent sur le masculin. Cette hégémonie a perduré au cours des années 90 et 2000, grâce à des films tels que Eh mec ! Elle est où ma caisse ? et How High, qui se penchaient essentiellement sur des aventures de mecs perchés, où les femmes étaient des fantasmes – voire l’inverse. Bien que des exceptions notables telles que Friday et Harold et Kumar chassent le burger  aient injecté des commentaires sociaux, le genre a demeuré fondamentalement centré sur les hommes. Bien que des réalisatrices telles que Tamra Davis et Amy Heckerling aient ajouté de la diversité dans les coulisses, les récits à l’écran sont restés fidèles à des problématiques masculines. La trajectoire de Gregg Araki se caractérise par son rôle éminemment novateur au sein du mouvement du Nouveau Cinéma Queer. Sa trilogie a exploré avec une touche d’humour sombre et anarchique les vies tumultueuses des jeunes queer. Longtemps marginalisé dans l’histoire du cinéma, son travail connaît aujourd’hui une réévaluation, ramenant Araki sous les feux de la rampe. Cette renaissance a mis en lumière sa capacité unique à capturer de manière saisissante les expériences queer, riches en angoisses et émotions, préparant ainsi le terrain pour une redécouverte de sa carrière et de sa contribution au septième art.

Smiley Face occupe une place centrale dans la filmographie du cinéaste. Anna Faris, dans le rôle de Jane F., offre l’une des performances comiques les plus déterminées du 21e siècle. Son incarnation d’une protagoniste constamment sous l’influence du cannabis est un tour de force, mettant en lumière sa polyvalence et son talent humoristique. La gestuelle d’Anna Faris, allant de ses émotions débridées à ses mimiques stupéfiantes, nous plonge dans l’expérience psychédélique de Jane. Elle transcende la simple exubérance juvénile pour démontrer sa capacité à naviguer avec virtuosité dans un rôle exigeant. Araki a exprimé sa volonté que Smiley Face soit intentionnellement conçu comme une œuvre sœur de son précédent film, Mysterious Skin. Alors que le premier s’aventure dans l’univers de la comédie stoner, le second explore les abîmes des traumatismes de l’enfance. Le style distinctif d’Araki, caractérisé par des mouvements de caméra excentriques et une esthétique lumineuse, imprègne ces deux films. Ces éléments sont utilisés pour créer une expérience à la fois désespérée et délirante. Il tire parti des talents effrénés d’Araki pour livrer une perspective unique sur la comédie stoner, tout en conservant sa signature inimitable.

Smiley Face brise les codes en plaçant Jane F., une héroïne féminine, au cœur d’une comédie stoner. Cette audace remet en question l’attention traditionnellement accordée aux personnages masculins dans ce genre. Le parcours de Jane, marqué par des moments de frivolité et des désirs charnels, reflète les expériences universelles de navigation au sein d’un monde en pleine confusion sous l’emprise de la drogue. Son personnage ne cherche pas à féminiser le genre de la comédie stoner, mais s’avère plutôt un véhicule comique idéal pour les multiples talents d’Anna Faris, mettant en lumière l’absurdité de la situation. Tenter de décrire l’intrigue relève d’une entreprise futile, car le film part des factures impayées pour aboutir à des rendez-vous oubliés et des quêtes de trésors, le tout tandis que Jane gère les conséquences de l’ingestion de cupcakes à base de marijuana. Le long-métrage réunit une pléiade d’acteurs qui contribuent à l’atmosphère enjouée et absurde de Los Angeles, parmi lesquels John Krasinski, Adam Brody, Jane Lynch, et bien d’autres. Il adopte une qualité résolument cartoonesque, ayant recours à des techniques telles que les zooms, les gros plans et les personnages qui s’adressent directement à la caméra, accentuant ainsi l’expérience délirante de Jane sous la défonce.

Son œuvre se distingue par sa capacité à capturer de façon authentique l’état planant. Des non-sens loufoques de Jane aux fluctuations de son état émotionnel, le film convie le public à expérimenter les hauts et les bas de l’euphorie provoquée par la drogue. La prestation sincère et convaincante d’Anna Faris, associée à la cadence impeccable de Gregg Araki et à une dose adéquate de stylisation, nous plonge dans les montagnes russes émotionnelles du personnage, aboutissant à une forme d’empathie unique. La légalisation de la marijuana aux États-Unis a remanié le genre de la comédie stoner, soulevant des interrogations sur sa pertinence dans une société où le cannabis gagne en acceptation sociale. Smiley Face s’affirme comme une contribution significative à l’évolution du genre, en proposant une perspective féminine sur l’expérience stoner. Bien que le genre ait connu un ralentissement, l’éventualité de futures comédies stoner dirigées par des femmes, laisse envisager une poursuite de l’évolution et de la diversification du genre. Son neuvième film, ne déroge pas à la règle et bouscule encore une fois les normes du genre en proposant un regard rafraîchissant sur le genre qu’il exploite. Araki devient une drogue, une adrénaline, qui pousse à la créativité et au changement, surtout.

Smiley Face de Gregg Araki, 1h25, avec Anna Faris, Adam Brody, Matthew J. Evans – Sorti en 2008

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