Rechercher

[CRITIQUE] Un Héros – 48 heures en enfer

Image de Par Louan Nivesse

Par Louan Nivesse

Dans les méandres de l’Iran, émerge une gare routière, véritable nœud social où se retrouvent les travailleurs quotidiens, assoiffés d’un moment de répit. Alors que le vacarme du trafic assourdit la toile urbaine, maints habitants se fondent dans cette marée incessante de l’humanité en mouvement. En ce lieu, repose un sac. À qui appartient ce mystérieux attribut ? Plus encore, quel symbole renferme-t-il ? Dans la dernière œuvre cinématographique d’Asghar Farhadi, un récit explorant la perception humaine et la quête de satisfaction sociale, ce sac énigmatique s’érige en point de départ du conflit central. Objet traduisant métaphoriquement l’influence du capitalisme sur la vie et le destin de la classe laborieuse, son origine demeure intentionnellement voilée. Au fil des révélations sur le sac et son propriétaire, Farhadi orchestise avec subtilité un conflit incitant, empreint d’une ambiguïté délectable, offrant un impact dramatique saisissant.

Copyright Neue Visionen Filmverleih

Autour de Rahim (interprété par Amir Jadidi) et de son périple de quarante-huit heures pour s’acquitter d’une année de dettes, Un Héros initie sa parabole en établissant d’emblée ses enjeux temporels. Tandis que les aiguilles du temps poursuivent leur course, Farhadi dévoile progressivement chacun de ses protagonistes majeurs. Nous faisons ainsi connaissance avec la famille de Rahim, ardente partisane de sa détermination à obtenir le pardon de ses créanciers. C’est seulement plus tard dans le récit que la sous-intrigue du sac est dévoilée. Farhadi, avec astuce, refuse d’offrir des réponses limpides quant à l’origine de ce sac, laissant au spectateur le soin de déceler les indices savamment disséminés à travers la mise en scène. Ce mystère non conventionnel, habilement articulé, est animé par la présence d’un fusil de Tchekhov, soulignant l’art de la narration procedural.

Ce qui suit constitue une réflexion sur la perception, car le sac engendre un phénomène social singulier. Farhadi interpelle ainsi son auditoire sur la nature même de l’altruisme : réside-t-il dans la valeur apparente d’une action entreprise ? Ou bien nécessite-t-il une exploration plus poussée, prenant en compte les antécédents délictueux de l’individu ? Un Héros, par-dessus tout, ne se satisfait guère des réponses triviales. Le parcours de Rahim, de la déchéance à l’opulence, évoque une tragédie à la manière des drames grecs, un voyage destiné à se fracasser inlassablement contre son optimisme béat envers les conventions sociales. Toutefois, les dialogues copieux et les rythmes répétitifs, par moments excessifs, engendrent une monotonie qui éclipse les conflits évidents entre Rahim et sa famille. Les scènes finissent par sombrer dans la léthargie tandis que Farhadi tente de raviver l’intérêt narratif à travers de nouvelles révélations et intrigues secondaires. À un certain point, le long-métrage se révèle épuisant à suivre, tel un vinyle rayé exécutant une partition autrefois brillante, désormais vouée à une redite incessante. Ironiquement, la conclusion de Rahim reflète l’agitation chaotique du troisième acte de ce long-métrage.

Copyright Neue Visionen Filmverleih

Au mieux, le dernier opus de Farhadi distille un message pertinent sur les conventions sociales, les privilèges de classe et le sensationnalisme médiatique. Au pire, Un Héros se perd par instants dans une répétition monotone, risquant de ternir sa brillance initiale. Mais, dans son essence même de conte moral et de drame captivant, le film interroge efficacement son public à travers une narration riche et nuancée. Son existence même et le symbolisme énigmatique du sac confirment la thèse centrale sur le capitalisme comme forme de châtiment sous tension, offrant une trame engageante parsemée de tragédies imprévisibles et de dialogues riches.

Un héros de Asghar Farhadi, 2h08, Amir Jadidi, Mohsen Tanabandeh, Fereshteh Sadre Orafaee – Au cinéma le 15 décembre 2021

1
0

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

ALL_WE_IMAGINE_AS_LIGHT_LARGE
[CRITIQUE] All We Imagine as light - Histoires d'Inde
Premier long-métrage de fiction pour Payal Kapadia,...
WEEK-END A TAIPEI_LARGE
[CRITIQUE] Week-end à Taipei - Le retour du Besson Show
Dans un coin de Taipei, sous des néons blafards qui...
JOKER2_LARGE
[CRITIQUE] Joker : Folie à Deux - Blague à part
On ne peut pas dire que Joker était franchement gêné...
THECROW_LARGE
[CRITIQUE] The Crow - La Résurrecfion
Lorsqu’on évoque The Crow, il est impossible de ne...
MOTHER LAND_LARGE
[CQL'EN BREF] Motherland (Alexandre Aja)
Dans un monde où les forêts se consument et où les...
AFTER_LARGE
[CRITIQUE] After - Danse, désespoir, et l’aube pour seule échappatoire
Dans les entrailles nocturnes de Paris, quand la fête...
REBEL_RIDGE_LARGE
[CRITIQUE] Rebel Ridge - Tension Sous Silence
Alors que la plupart des récits d’action cherchent...