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[CRITIQUE] Joker : Folie à Deux – Blague à part

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Par JACK

On ne peut pas dire que Joker était franchement gêné de calquer ses modèles. Le film de Todd Phillips avait beau pousser la chansonnette de la révolte urbaine un peu plus fort que ses référents, il s’était au préalable arrangé pour repeindre Gotham City aux couleurs du New York de Taxi Driver, avait fourgué à Joaquin Phoenix et Robert De Niro les costumes de La Valse des Pantins et piqué à Citizen Kane son carton de fin. Une recette de récupération cinéphile si payante (un milliard de dollars au box-office pour autant de récompenses en festivals) que Warner Bros l’applique aujourd’hui à ses adaptations de comics les plus sérieuses. The Batman et son style fincherien, The Penguin qui se la joue Les Soprano, et rebelote avec Joker : Folie à Deux, suite directe qui lorgne le film de procès et la comédie musicale des sixties. Deux genres pour deux scénarios parallèles : tandis qu’Arthur Fleck végète en prison dans l’attente de son procès, puis se rend au tribunal en espérant échapper à la chaise électrique, le clown en lui fantasme des séquences de chant dans la veine de celles qui ont fait Broadway (scènes pharamineuses et costumes bariolés), où l’y rejoint sa chère et tendre Harley Quinn.

Les divagations mentales du personnage-titre, sur lesquelles s’appuyait Phillips pour prendre en traître le spectateur dans le premier volet, n’ont plus pour vocation de tromper qui que ce soit. C’est même tout l’inverse : collant aux préceptes du bon vieux film musical, Joker 2 chante à voix haute son sous-texte, fouille la psyché de ses protagonistes en mélodies, fait de leurs tressaillements intérieurs des chorégraphies dansées, chaque rupture (de ton, d’atmosphère, de couleurs) faisant l’effet d’un battement de métronome sur lequel se cale le reste du long-métrage. Cela dit, ce Folie à Deux n’est pas tout à fait réglé comme une horloge : si le film laisse initialement penser que sa narration dépend entièrement d’un montage en va-et-vient, et donc d’un dialogue équilibré entre scènes du réel et scènes imaginaire, ce dernier se rompt fréquemment.

Copyright Niko Tavernise/™ & © DC Comics.

C’est que Todd Phillips force tant l’examen de son personnage que le film tout entier finit par lui ressembler. Imprévisible, débraillé, involontairement drôle et davantage tourné vers lui-même qu’il voudrait nous le faire croire. Car s’il est une référence avec laquelle cette suite insiste plus que les autres, c’est bien celle du premier Joker, dont le scénario est scrupuleusement relu lors des séquences de procès. Probablement dans le but d’en livrer une interprétation inédite, et définitive – un moyen pour le metteur en scène de reprendre le contrôle sur son histoire, laquelle, de son propre aveu, lui avait quelque peu échappé. Phillips évince tout ce qui peut servir à la glorification de son anti-héros, réduit la crise sociétale qui frappe Gotham à une foule de manifestants extrémistes, mentionne l’existence d’un (mauvais) téléfilm qui aurait fait de Fleck un modèle, mais tient aussi à surligner les traumatismes psychologiques et physiques qui ont constitué sa jeunesse, ses rapports avec sa mère malade, ses échecs sentimentaux, etc.

En bref, Joker 2 rabâche à défaut d’interroger les faits. Il y a bien, en arrière-plan, l’hypothèse du dédoublement de personnalité qui traîne, mais celle-là, comme toutes celles avancées par le long-métrage au cours de ses deux heures de débat, n’ébranle jamais suffisamment les assises de l’original pour justifier l’édification d’un tel remake. N’ayant rien de bien neuf à fredonner de son côté, si ce n’est quelques fausses notes, Joaquin Phoenix participe fatalement à la redite en dupliquant les rires forcés, la marche étrange, les intonations enfantines. La fibre anarchique est plutôt à chercher chez sa partenaire, magnifique Lady Gaga, dont le rôle trompeur fait corps avec le sinistre des couloirs de l’asile d’Arkham. L’on regrette néanmoins que la présence de la comédienne, connue pour ses shows extravagants, n’ai pas davantage inspirée les techniciens de ce second opus : les digressions musicales pâtissent d’une mise en scène morne et d’une absence de passion qui crèvent les yeux.

Joker : Folie à Deux de Todd Phillips, 2h19, avec Joaquin Phoenix, Lady Gaga, Brendan Gleeson – Au cinéma le 2 octobre 2024.

6/10
Total Score
  • JACK
    6/10 Satisfaisant
    Joker : Folie à Deux est moins encombré de références que prévu, mais en compte néanmoins une de taille : le film précédent, dont Todd Phillips propose une relecture par le prisme du film de procès. Une suite méta pas aussi maligne qu'elle voudrait nous le faire croire.
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