Dans l’obscurité vacillante d’une salle de cinéma, un vendredi 13 se déploie. Les sièges grincent, témoins des âmes anxieuses qui s’y pressent, tandis qu’une tension palpable emplit l’air. La lumière de l’écran danse, projetant des ombres furtives et des silhouettes éperdues. L’attente, pesante et électrisante, fait vibrer l’atmosphère, comme une menace suspendue au-dessus des têtes. Ce qui s’apprête à défiler n’est pas une œuvre magistrale, ni même un film qui défiera le temps. Non, c’est Vendredi 13, première pierre d’une supercherie habilement déguisée en saga culte, une litanie de meurtres sans âme, mais pourtant, paradoxalement, capable de toucher les cœurs. Pourquoi ? Pourquoi le public se laisse-t-il piéger par cette farce éhontée ? Parce qu’il trouve un plaisir coupable à se faire duper, tout simplement.
La nuit est tombée sur Crystal Lake, mais la supercherie éclate sous les projecteurs. Dès les premiers instants du film, la manœuvre se dévoile : copier, imiter, s’approprier. En ce lointain 1980, Halloween a déjà redéfini les codes de l’horreur. John Carpenter, avec son tueur masqué et sa caméra subjective, a ouvert la voie, et Sean S. Cunningham, à la tête de Vendredi 13, pressent une opportunité. Copier Halloween, et même en faire davantage. Plutôt que de faire éclore quelque chose de neuf, il empile les stéréotypes, siphonnant sans scrupules les grandes œuvres passées. Psychose, La Baie Sanglante, Black Christmas : autant de films qui deviennent ses références, vidés de leur essence, de leur subtilité. Ce n’est pas un hommage, c’est un recyclage flagrant, parsemé juste de sang pour l’agrémenter. Le risque était immense, mais la chance, ou plutôt l’opportunisme, a souri à Cunningham. Car le public, lui, ne cherchait pas à comprendre ; il voulait du sang, des cris, des corps déchiquetés, une horreur à portée de main. Ainsi, le long-métrage connaît le succès, le public déferle en masse, aveuglé par l’illusion d’un film choc. Tandis que Carpenter s’attarde à instaurer une tension palpable, une atmosphère qui s’infiltre sous la peau, Vendredi 13 se contente de dérouler son canevas : des adolescents insouciants, un camp de vacances, et un tueur invisible qui les élimine un à un. Pas de suspense, pas d’empathie pour ces figures creuses, là pour mourir, non pour exister.
Dès les premières minutes, il est clair : Vendredi 13 est un Halloween au rabais. La caméra subjective, outil qui, sous le talent de Carpenter, incarnait le mal, se mue ici en simple gadget. Ce tueur, que l’on devrait voir, ne fait pas frémir. Il n’a ni l’aura de Michael Myers, ni cette force qui transcende l’acte de tuer. Le meurtrier de Vendredi 13 n’est qu’un prétexte, une figure interchangeable pour accumuler les cadavres. Quelle ironie quand on réalise que Jason Voorhees, l’icône de la saga, n’apparaît même pas dans le film original ! Non, ici, c’est sa mère, Pamela, qui, muselée par le chagrin, se venge de la noyade de son fils. Un twist final aussi absurde qu’inattendu, comme une tentative désespérée de justifier l’heure et demie de carnage infligée à un public en quête de frissons. Mais ce n’est pas uniquement une question de scénario ; la mise en scène elle-même respire la banalité. Rien de subtil, tout est à portée de vue. La violence, brute et graphique, mérite une brève ovation, mais ce n’est pas le film qui doit en porter le mérite, c’est Tom Savini, magicien des effets spéciaux, qui a fait des miracles avec un budget ridicule. Ses maquillages, ses effets de gore, voilà ce qui pourrait le sauver du naufrage total. Mais à quoi bon des effets aussi réussis lorsque tout ce qui les entoure est aussi insipide ? Les meurtres se succèdent, dénués de rythme, d’une tension véritable, et c’est là que Vendredi 13 échoue là où Halloween triomphe : l’attente du prochain meurtre ne suscite pas l’effroi, elle devient une épreuve subie.
On pourrait penser qu’avec tant de défauts, il aurait dû sombrer dans l’oubli, se perdre dans les tréfonds des années 80, enseveli sous la poussière des slashers de série B. Pourtant, Vendredi 13 a triomphé, engendrant une saga tentaculaire de longs-métrages, de remakes, de jeux vidéo et de produits dérivés à foison. Comment expliquer un tel succès ? La réponse est simple : le public voulait du sang, et Vendredi 13 a inondé les écrans de litres de gore. Avec un budget de 550 000 dollars, le film a explosé le box-office. Non pas pour son scénario, ni pour ses acteurs (Kevin Bacon, dans l’un de ses premiers rôles), ni même pour sa réalisation banale. Non, c’est pour ce qu’il promettait : de la violence. En 1980, alors que le public se lassait des films d’horreur psychologiques et subtils, il désirait du concret, du viscéral. Et Vendredi 13 a su capturer cette envie, offrant une vision brutale de la mort à la jeunesse. Le film ne cache même pas ses intentions. C’est une œuvre d’exploitation, assumant son statut de machine à fric.
Ce qui est encore plus frustrant dans Vendredi 13, c’est de voir le potentiel immense de son cadre, le camp de Crystal Lake. Imaginez ce lac paisible, ces cabanes de bois, cette nature qui semble déconnectée du monde. Tout cela aurait pu être le théâtre d’une horreur viscérale, d’une montée de tension authentique, où la forêt, le lac et les cabanes deviennent des personnages à part entière. Mais rien n’est exploité. Crystal Lake n’est qu’un décor de carton-pâte, un simple prétexte pour aligner les meurtres. Aucun sentiment d’isolement, aucun mystère ne plane autour de ce lieu. Le potentiel est là, mais il reste endormi sous la médiocrité ambiante. Et pourtant, malgré cela, le film fascine. Peut-être est-ce ce côté nanardesque, cette absurdité qu’il embrasse sans jamais se remettre en question, qui le rend si attachant. Il y a une jouissance coupable à regarder Vendredi 13. Ce n’est pas un bon film, mais il y a quelque chose d’étrangement divertissant. On se surprend à rire des dialogues insensés, à lever les yeux au ciel face aux incohérences, à secouer la tête devant tant de maladresse. Et pourtant, on continue à regarder.
Alors, Vendredi 13, qu’est-ce que c’est, au final ? C’est l’ombre d’un grand film qui n’a jamais vu le jour. Une série de meurtres sans âme, une violence gratuite qui ne mène nulle part. Ce n’est ni un hommage, ni une réinvention. C’est un écho vide, résonnant encore comme une légende factice. Il aurait dû disparaître, se dissiper dans l’immensité des slashers oubliés. Mais il persiste, perché au sommet de la culture populaire, solidement ancré dans l’imaginaire collectif. Tel un mirage, il captive, mais lorsqu’on s’en approche, il ne reste que de la poussière. Une illusion qui s’évanouit dès qu’on tente de l’attraper. C’est là, la vraie tromperie. Le cinéma, parfois, nous berce avec art, mais ici, il ne reste que l’esquisse d’une horreur qui aurait pu être grande. Peut-être, est-ce cela le vrai tour de force de Vendredi 13 : transformer l’ordinaire en culte, et nous convaincre que la médiocrité mérite d’être célébrée.
Et si vous avez survécu à ce premier opus, préparez-vous à plonger dans Vendredi 13, Partie II. Car cette fois, Jason, celui qu’on croyait mort, sortira enfin de l’ombre. Mais soyez avertis : il n’y aura pas de salut dans le lac.
Vendredi 13 de Sean S. Cunningham, 1h36, avec Betsy Palmer, Adrienne King, Jeannine Taylor – Sorti le 11 février 1981