Simple comme Sylvain, le troisième long-métrage de Monia Chokri, occupe une place singulière dans la filmographie de cette cinéaste canadienne, autrefois reconnue en tant qu’actrice (notamment pour ses rôles dans les films de Xavier Dolan). Par la suite, elle s’est lancée dans la réalisation avec La femme de mon frère, qui a été couronné d’un Prix Coup de cœur à Cannes. Son deuxième film, Babysitter, n’a pas obtenu un accueil aussi enthousiaste de la critique, donc inévitablement, Simple comme Sylvain offre l’occasion de confirmer, ou non, son talent de réalisatrice. Plutôt que de m’attarder sur le suspense, permettez-moi de répondre immédiatement : oui, c’est une réussite. Cependant, pourquoi ?
Monia Chokri choisit d’explorer l’histoire d’une femme qui trompe son mari, un universitaire stable mais ennuyeux, avec le fameux Sylvain, un ouvrier engagé par le couple pour réparer leur résidence secondaire. Déjà dans le synopsis, il est évident que l’une des sources de comédie de ce film réside dans les différences entre Sophia, Xavier (son mari), et Sylvain. Cependant, ce qui surprend dans ce long-métrage, c’est qu’il ne s’attarde pas sur ces stéréotypes de personnages, mais plutôt qu’il provoque le rire par sa mise en scène : de nombreux plans rapprochés, des angles de caméra inattendus, et surtout, des dialogues savoureux. Ce qui aurait pu être une histoire romantique classique à trois devient un terrain de jeu pour explorer des gags liés au sexe, à Michel Sardou et aux disparités sociales. Le film enchaîne des séquences qui ressemblent à des sketchs, et finit inévitablement par se tourner vers une analyse sociologique des personnages.
Concernant les différences sociales, le film commence par jouer sur les préjugés, notamment en dépeignant les Canadiens ruraux, dont Sylvain fait partie, comme des individus simples d’esprit. Cependant, à mi-chemin dans le long-métrage, on réalise que Monia Chokri ne se moque pas seulement de cette classe sociale, mais elle se moque de tout le monde. En effet, Xavier, le mari universitaire de Sophia, est fréquemment représenté comme un individu ennuyeux qui ne parvient pas à rendre sa femme heureuse. De nombreux plans miroirs entre Sylvain et Xavier semblent les mettre en parallèle, les rapprochant pour mieux se moquer des deux. Les désirs des personnages masculins se résument en grande partie à Sophia, une simplification de l’intrigue qui peut sembler un peu excessive. Le film semble confondre la simplicité et la simplicité excessive en limitant son intrigue à un conflit entre les désirs (représentés par Sylvain) et la raison (représentée par Xavier) sans jamais explorer en profondeur la question centrale : qu’est-ce que le bonheur ? Apparemment, c’est ce que Sophia recherche sans jamais parvenir à le trouver, ce qui donne au film une fin relativement pessimiste, mais cohérente avec le reste de l’histoire. Cette conclusion, plutôt sombre, contribue à faire de cette troisième tentative un succès total. En brouillant les frontières et en faisant de Sophia une perdante, tout comme Xavier et Sylvain, Monia Chokri clôture son long-métrage en se moquant de l’ensemble des personnages sans désigner de vainqueurs. Ainsi, son analyse satirique des différences sociales canadiennes ne dénote ni mépris ni moquerie.
C’est quoi le cinéma pour Monia Chokri ? On pourrait tenter de le résumer en une seule séquence à la fin du film. Alors que pendant une heure et demie, Sophia juge de plus en plus sévèrement Sylvain pour ses croyances complotistes (il pense qu’une invasion extraterrestre est imminente), on peut apercevoir, au loin et en arrière-plan, un OVNI survolant le ciel. Le cœur de la scène réside dans la dispute entre Sophia et Sylvain, mais cet élément comique (presque imperceptible, car on pourrait facilement le rater) brouille à nouveau les frontières concernant qui a raison entre les deux. Avec Sylvain, rien n’est aussi simple qu’il n’y paraît.
Simple comme Sylvain de Monia Chokri, 1h50, avec Magalie Lépine Blondeau, Pierre-Yves Cardinal, Francis-William Rhéaume – Au cinéma le 8 novembre