[CRITIQUE] Omar la Fraise – Salade de styles, jolie, jolie, jolie

On l’attendait avec impatience, cet Omar la Fraise, le premier long-métrage d’Elias Belkeddar après deux courts qui laissaient présager du bon. Ce jeune cinéaste est un amoureux des personnages. Ses scénarios, tels que Athéna récemment ou Mes jours de gloire, fonctionnent non pas grâce à une série d’événements, mais plutôt comme des chroniques sur des protagonistes atypiques. Et une fois de plus, c’est le cas avec le personnage immense d’Omar la Fraise. Reda Kateb, un extraordinaire acteur que l’on est ravi de revoir à l’écran, incarne ici Omar Zerrouki, un bandit contraint de rester en Algérie avec son associé, Roger, joué par Benoit Magimel, un immense acteur que l’on est ravi de revoir à l’écran. Je me répète ? Je permets cette répétition embêtante et lourde tout simplement parce qu’il est important d’insister sur le talent d’interprétation de ces deux personnes, car tout le film repose sur eux. En une centaine de minutes, le trio Elias-Reda-Benoit crée une ambiance et un long-métrage immédiatement culte. Que ce soit les répliques inoubliables (“Tu veux le baiser !?“) ou certaines séquences (tout le climax avec les enfants et les “Vieux”) : tout est réuni pour faire d’Omar la Fraise l’une des expériences à vivre de cette 76e édition du Festival de Cannes.

© Iconoclast, Chi-Fou-Mi Productions, Studiocanal, France 2 Cinéma 2023

À l’image de son protagoniste, le film est imparfait. Il présente des problèmes de rythme et semble divisé en chapitres. Durant le visionnage, on attend avec impatience la prochaine séquence d’anthologie, mais l’entre-deux est ennuyeux. Cependant, si l’on met de côté cette légère gêne, Omar la Fraise reste un film riche, à l’image de son personnage. Il est impossible de résumer tout ce qu’Elias Belkeddar essaie d’aborder en quelques mots. Son premier long-métrage est à la fois un thriller violent dans le milieu mafieux algérien et une douce histoire d’amour d’un homme en quête de rédemption. Le personnage principal est un criminel impulsif et un quadragénaire qui s’ennuie dans sa prison dorée. Le film est une œuvre minutieuse, mais qui se laisse parfois aller à des séquences improbables avec des acteurs non professionnels. Omar la Fraise est fait de nuances et de dualités, tout comme le film et le personnage. C’est un homme pris entre deux époques, deux mondes et même deux pays. À l’image de son protagoniste, ce long-métrage tente de rassembler des morceaux brisés. On ne peut s’empêcher de voir la beauté dans ce geste.

Cette volonté de réunir tout, parfois n’importe quoi, dans le même film rappelle beaucoup de cinéastes cinéphiles comme Tarantino, qui aiment intégrer leurs références dans le cadre. Cependant, dans le cas d’Elias Belkeddar, les choses ne sont pas si simples. Le réalisateur puise dans ses expériences personnelles pour créer un patchwork d’influences inspirantes. Ce mélange se ressent dans la mise en scène, le scénario et même la musique, qui mélange diverses sonorités méditerranéennes. Omar la Fraise est un immense coup de cœur grâce à cette liberté de ton flamboyante. On oscille constamment entre des environnements et des émotions changeantes, et c’est là tout le charme de l’œuvre. On oublie trop souvent ce qu’est une vraie surprise au cinéma. Ici, tout est imprévisible. Magimel et Kateb nous font rire aux larmes grâce à un costume exubérant ou une réplique absurde, puis l’instant d’après, nous nous inquiétons pour eux. Le film lui-même nous surprend en nous montrant soudainement des scènes violentes, mais rien n’est gratuit, tout est constamment réfléchi.

© Iconoclast, Chi-Fou-Mi Productions, Studiocanal, France 2 Cinéma 2023

Ce qui est particulièrement accompli dans cette œuvre, c’est que le mélange des genres a toujours un sens ou une signification. Revenons sur les éléments évoqués précédemment : les costumes ont une force symbolique captivante. Le mélange entre le passé, avec des costumes élégants de criminels, et le présent, avec des vêtements beaucoup plus contemporains, illustre une fois de plus la dualité du personnage. Tout comme son nom aux origines mystérieuses et multiples, et sa bague rouge, Reda Kateb entretient un mystère perpétuel autour de son protagoniste. Les costumes vont également dans ce sens en lui donnant plusieurs identités visuelles, représentant sa séparation entre différents univers et soulignant qu’il est binational. Le statut des binationaux est particulièrement intéressant dans le sentiment qu’ils éprouvent de ne se sentir nulle part chez eux. Omar la Fraise aborde tous ces aspects avec légèreté et simplicité.

Cette dualité propre à Omar et au cinéaste se retrouve une fois de plus dans les décors. Les quartiers populaires d’Alger enferment nos deux protagonistes, reflétant leur exil forcé. Cependant, au fil des séquences, notamment celle dans le désert, les espaces s’ouvrent pour offrir plus de liberté aux personnages. Elias Belkeddar utilise donc les décors pour représenter la psyché de ses personnages, tout en rendant hommage à un pays qu’il affectionne. En mettant l’accent sur la diversité des paysages algériens et en évitant les clichés habituels, le réalisateur déjoue les attentes. C’est d’ailleurs pourquoi l’affiche officielle d’Omar la Fraise reprend des clichés, jouant ainsi avec le genre et surprenant une fois de plus les spectateurs.

La dualité d’Omar la Fraise s’exprime également à travers sa relation avec la violence. Les scènes sanglantes, notamment impliquant des armes blanches, peuvent choquer, mais elles deviennent encore plus déstabilisantes lorsqu’elles impliquent des enfants et sont ultra-esthétisées. Une fois de plus, le film cherche à surprendre le spectateur, à le mettre mal à l’aise pour le faire accepter l’inattendu. Cependant, cette violence, au-delà de son aspect pratique et esthétique, joue un rôle narratif crucial. Le personnage d’Omar la Fraise est façonné par le sang et le meurtre, ce qui explique son impulsivité face à la violence et aux situations dangereuses. C’est quoi le cinéma selon Omar la Fraise ? On ne peut s’empêcher de percevoir une forme de tendresse, voire de naïveté, chez ce protagoniste qui peu à peu s’éloigne de la violence qui l’entoure. Son évolution tout au long du film en fait l’un des personnages les plus marquants du cinéma français de la dernière décennie. Omar la Fraise, tu resteras dans nos mémoires.

Omar la Fraise de Elias Belkeddar, 1h40, avec Reda Kateb, Benoît Magimel, Meriem Amiar

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