[CRITIQUE] Oh, Canada ! – Rédemption, ou pas

Après sa trilogie de la rédemption composée de Sur le chemin de la rédemption, The Card Counter et Master Gardener, il était intrigant de se demander où l’éminent Paul Schrader allait nous emmener avec Oh, Canada !, adaptation du roman éponyme de Russell Banks. Ce récit relate l’interview ultime de Leonard Fife (incarné par Richard Gere), célèbre documentariste canadien, décidé à révéler enfin toute la vérité sur sa vie. Cette confession est filmée sous les yeux de sa dernière épouse, Emma (interprétée par Uma Thurman).

Quelle ne fut pas notre surprise de constater que cette nouvelle entrée dans la filmographie de Schrader semble s’inscrire dans la droite continuité de ses travaux les plus récents et de sa dernière trilogie. Ici, il tient en haleine par l’attente des révélations apparemment choquantes du documentariste, captant notre attention avec une maîtrise indéniable. Qu’a-t-il de si fort à avouer, lui qui aurait menti toute sa vie, y compris à sa femme avec qui il partage trois décennies de vie commune ?

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C’est ici que toute la subtilité de la mise en scène de Oh, Canada ! interpelle. Le film s’ouvre sur un vieux Leonard Fife, sénile et très malade, qui, sous une lumière tamisée et un fond noir, commence à raconter sa vie face à la caméra, à partir de sa majorité. Paul Schrader justifie ainsi la présence de la voix-off si emblématique dans ses longs-métrages. Cependant, cette voix-off se révèle non fiable, car les souvenirs de Fife sont embrouillés. Notre tâche, en tant que spectateurs, sera de rester attentifs aux images qui défilent devant nous, car la vérité sera parfois masquée par des visions potentiellement erronées. Le jeune Leonard Fife, incarné magistralement par Jacob Elordi, est parfois remplacé par Richard Gere, représentant le personnage à la quarantaine. Ces discordances deviennent de plus en plus fréquentes au fur et à mesure que l’interview se prolonge. Les flashbacks en couleur cèdent progressivement la place au noir et blanc, symbolisant des souvenirs que Fife considère comme factuels, mais qui manquent de couleurs, de précision, de ces petits détails qui rendent ses récits crédibles.

La présence de Richard Gere dans le rôle du jeune Fife devient de plus en plus omniprésente, illustrant l’imprécision temporelle dans laquelle il nous plonge. De même, certaines scènes de son passé sont présentées deux fois, avec de légers changements qui en modifient subtilement le sens. À mesure que l’interview avance, Fife commence à confondre ses différentes femmes et conquêtes. Uma Thurman commence à prendre la place de Gloria, une ancienne amante, et son enfant, initialement attribué à une femme, se retrouve soudainement associé à une autre. Ce brouillage des souvenirs et des identités est véritablement fascinant à suivre. Schrader nous invite à naviguer dans l’esprit fragmenté de Fife, nous laissant deviner ce qui est vrai et ce qui est une invention de sa mémoire défaillante. Cette approche narrative complexe enrichit considérablement le long-métrage, incitant à questionner la nature même de la vérité et de la mémoire.

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Tout cela pour quoi ? Pour nous révéler une déception intime et subtile. Car Leonard Fife n’est ni un criminel, ni un addict aux jeux, ni un prisonnier de guerre, ni même un néonazi : il est simplement un homme qui a trompé toutes ses femmes, qui a vu sa vie d’adulte commencer trop tôt, qui a débuté sa carrière de réalisateur par un coup de chance, et qui a échappé au service militaire en se faisant passer pour homosexuel. En somme, c’est un lâche. Certains pourraient voir en Leonard Fife une projection de Paul Schrader lui-même. Ce serait une erreur. Car il est tous ses personnages à la fois : Leonard Fife, cet homme aux multiples regrets, qui a commencé sa carrière grâce à une opportunité fortuite en collaborant avec des figures emblématiques tels Sydney Pollack ou Martin Scorsese. Il est aussi cet homme dont le frère aîné, également nommé Léonard, a échappé à la conscription pendant la guerre du Viêt Nam en se réfugiant à Kyoto, envoyé par l’Église pour enseigner dans une école religieuse. Mais Paul Schrader se représente également par toutes ces femmes que Leonard a trompées, lui qui, en tant que scénariste, a souvent été devancé et trahi par les studios et les réalisateurs. Enfin, il est le metteur en scène de cette interview, celui qui n’a jamais cessé d’interroger ses personnages pour qu’ils révèlent leurs vérités.

Oh, Canada ! est sans doute l’œuvre testamentaire de Schrader, aussi bien à travers le texte de Banks que par le fait que tout tourne autour de lui, de sa condition et de son passé. Cette confession de Leonard Fife devient alors un miroir des propres interrogations de Schrader, de ses doutes et de ses remords, offrant une réflexion profonde sur la vérité, la mémoire et la nature humaine.

Oh, Canada ! de Paul Schrader, 1h35, avec Richard Gere, Jacob Elordi, Uma Thurman – Prochainement au cinéma

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