[CRITIQUE] Nuit Noire en Anatolie – L’angoisse des regards

Nuit Noire en Anatolie, l’une des deux réalisations de cette année par le cinéaste Özcan Alper, qui n’avait pas offert de nouvelle œuvre depuis 2015 (le premier étant sorti en septembre dernier sur Netflix, sous le titre Le Festival des Troubadours), plonge profondément dans le méandres de la cancel culture en Turquie. L’histoire s’initie par un coup de téléphone inattendu à Ishak, sept ans après son départ de la petite ville, suite aux tragiques événements de cette nuit mémorable, l’informant que sa mère est aux portes de l’au-delà.

Cette fresque se déploie dans la bourgade montagnarde des Toros, au fil de l’arrivée d’Ali, un jeune ingénieur forestier, et des conséquences qui en découlent. Avant d’en arriver au drame qui coûtera la vie à Ali, Nuit Noire en Anatolie scrute avec minutie le parcours et le passé d’Ishak. L’intrigue alterne constamment entre le passé, il y a sept ans, et le présent, offrant une analyse perspicace de la société turque à travers chaque protagoniste. Une démarche loin d’être inédite, bien que le film ne réussisse pas à se distinguer de ses prédécesseurs.

L’originalité réside peut-être dans la caractérisation d’Ishak, un individu bienveillant mais apathique, un archétype commun au sein des petites communautés. Ishak incarne un Don Quichotte solitaire luttant contre des moulins à vent, mais cette approche demeure ancrée dans le passé. La persistance des coupables, du plus obscur au plus gradé, face à un Ishak impuissant, est le point culminant de l’histoire, qui se termine ainsi. La question de la justice différée émerge alors. Özcan Alper dépeint finalement une défaite totale. Quand Ali arrive en ville, il devient son seul ami, même moqué par les jeunes villageois pour avoir chanté des chansons dans les montagnes. Cependant, en découvrant la relation entre Ali et son ancienne petite amie Sultan, il se retrouve à défendre l’honneur du village, toujours en retard pour agir. L’intention de Özcan Alper, en évoquant la supposée sagesse anatolienne, le nationalisme, le racisme et le conservatisme, est compréhensible, mais d’autres cinéastes comme Radu Jude ont déjà exploré ces thèmes de manière plus innovante.

L’histoire continue avec Ishak confrontant tous ceux impliqués dans la nuit tragique, son chien est tué, et il scrute tous les coins de la ville à la recherche d’Ali. Chercher l’inexistant semble être une maladie dans ce pays. Cela rend difficile l’écriture sur ce film, car il ne propose rien de nouveau. Pour éviter cette “maladie”, intéressons nous davantage aux idées et à leur expression, tout en regrettant le potentiel inexploité de ce que l’on voit.

Malgré le flot de films récents critiquant le complexe d’infériorité, les traditions, le conservatisme et le nationalisme turcs, certains parviennent à se démarquer par leur qualité et leur originalité. Nuit Noire en Anatolie n’apporte pas de perspectives nouvelles à ces thèmes ni d’innovations. Néanmoins, il demeure l’un des meilleurs films turcs de ces dernières années. Il aurait pu être un bon film noir, mais a choisi une voie archaïque. Il est temps de comprendre que d’autres approches sont possibles, sinon nous continuerons à rechercher les mêmes choses à travers des histoires différentes. Özcan Alper semble ne pas chercher une fin optimiste, ce qui n’est pas nécessairement un problème, à condition qu’elle apporte des perspectives nouvelles. Il est inutile de transformer les films en sociologie. Ceux qui le méritent finiront par se distinguer, une attente légitime pour un réalisateur tel qu’Özcan Alper, à l’instar de Sonbahar.

Nuit Noire en Anatolie de Özcan Alper, 1h54, avec Berkay Ateş, Pınar Deniz, Taner Birsel – Au cinéma le 14 février 2024

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