Écrit et réalisé par Philippe Lacôte, La Nuit des Rois explore délibérément et efficacement la beauté et l’importance de la narration et de la performance, en brouillant souvent les frontières entre ce qui est réel et ce qui est mythique. Il n’est pas facile de mêler les deux, mais Lacôte y parvient avec un effet émouvant et poignant. La Nuit des Rois saisit la hiérarchie d’une prison dirigée par des détenus, la soif de pouvoir et l’histoire captivante qui rassemble les détenus.
Dans la forêt d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, un nouveau prisonnier (Bakary Koné) est amené à la MACA, une prison surpeuplée dirigée par les détenus. Le directeur a renoncé à faire quoi que ce soit à ce sujet, laissant les prisonniers se réunir entre eux. Si les détenus ont le pouvoir, il existe des factions entre les murs de la MACA. Au sommet de la hiérarchie se trouve un homme qu’ils appellent Barbe Noire (Steve Tientcheu), qui est en fin de vie et qui tient à peine le coup pour respirer à l’aide de sa bouteille d’oxygène. Cependant, Barbe Noire connaît les règles : une personne trop malade pour gouverner les autres doit se suicider. Pour éviter l’inévitable bain de sang et la lutte pour le pouvoir entre les détenus restants, il nomme le personnage de Koné (dont le nom n’est jamais révélé) Roman, le conteur, chargé de divertir les prisonniers avec un conte. Jusque-là, Roman est en sécurité, mais l’anxiété, la tension et le besoin presque incontrôlable d’attaquer augmentent à mesure que l’aube approche. Lacôte tisse de manière impressionnante sa propre histoire dans une histoire. La tension qui se développe n’est jamais loin de la réalité, mais Roman rassemble nerveusement les morceaux d’une histoire assez longtemps pour tenir les autres prisonniers à distance. C’est le nouveau et il y a un sentiment de peur exacerbée qui se lit sur son visage et dans son langage corporel.
Il est anxieux et effrayé, incertain de sa place au sein de la MACA et ne connaît pas les règles et les niveaux de pouvoir qui régissent la prison. Pour sauver sa propre vie, Roman devient comme Shéhérazade des Mille et Une Nuits, ajoutant des parties à l’histoire dès qu’elle est presque terminée. Plus la nuit se prolonge, plus Roman s’enfonce dans l’histoire, fabriquant un récit qui semble tiré de sa propre vie, avec des touches de fantaisie pour faire bonne mesure. L’histoire qu’il raconte est elle-même politique et, plus Lacôte brouille les frontières entre réalité et fiction, plus La Nuit des Rois devient nuancée. Roman raconte cette histoire avec un sentiment d’urgence et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Mais les autres prisonniers ne sont pas de simples spectateurs passifs. Non, ils font tout autant partie de l’histoire qu’il raconte, se levant pour jouer le conte avec leurs corps, leurs mouvements étant une extension fluide et organique de la narration de Roman. C’est magnétique et envoûtant à regarder, Lacôte soulignant la combinaison pour faire comprendre la nécessité cruciale, et dans ce cas, le besoin de sauver des vies, de la narration en tant que forme d’art. C’est magnifiquement hypnotisant et le film est renforcé par l’inclusion d’un mythe aussi riche. L’histoire de Roman prend également vie en « live-action« , grâce à la photographie de Tobie Marier-Robitaille qui crée une palette visuelle époustouflante contrastant avec la prison.
Cela dit, l’emprise de La Nuit des Rois se relâche à l’approche de la fin, avec un final plus long que nécessaire. Cela perturbe quelque peu l’écriture serrée qui permet au film de couler librement et passionnément pendant la majeure partie de sa durée. Au fur et à mesure que l’histoire de Roman s’achève, on ressent un profond sentiment de perte, comme si le film lui-même était aussi incertain que les détenus sur la façon d’aller de l’avant. Mais, malgré un dernier acte plus faible, La Nuit des Rois est spectaculaire, passionnant et captivant. Il est presque poétique dans son exécution et cela seul fait qu’il vaut la peine d’être regardé.
⭐⭐⭐⭐
Note : 3.5 sur 5.La Nuit des Rois au cinéma le 8 septembre 2021.