Le cinéaste Mikhaël Hers, ayant scruté avec acuité les trajectoires de ses personnages après des pertes déstabilisantes telles qu’illustrées dans son précédent film Amanda en 2018, déploie une tendresse similaire et s’attarde sur les lueurs d’espoir dans Les Passagers de la nuit. L’événement catalyseur de cette histoire réside dans l’abandon subi par une femme, contrainte d’élever ses enfants adolescents sans soutien financier, un récit empreint d’une transparence émotionnelle saisissante, incarnée par la talentueuse Charlotte Gainsbourg. Malgré quelques écarts stylistiques parfois distrayants, cette œuvre se présente comme une étude de personnages empreinte de modestie, évoquant à juste titre le récent Les Olympiades de Jacques Audiard. Au cœur de ce récit, coécrit par Hers, Maud Ameline et Mariette Désert, réside la rédemption de deux âmes meurtries, chacune découvrant progressivement sa place et sa liberté d’esprit, affranchie des carcans du mariage conventionnel d’un côté et des affres de la drogue de l’autre.
La délicate trame narrative, dépeignant le parcours d’Elisabeth, quadragénaire célibataire et lasse, captive à tel point que les subplots, portés par le reste du casting, tels que celui de son fils Matthias, en âge d’aller à l’école, et de l’adolescente toxicomane des rues, Talulah, semblent en comparaison pâlir d’intérêt. Cependant, même dans ses imperfections, l’œuvre rayonne d’un impact général et d’une bienveillance envers tous ses protagonistes, faisant de ce drame une expérience des plus gratifiantes. Le récit s’amorce lors de la soirée électorale de mai 1981, marquant l’accession au pouvoir du socialiste François Mitterrand, suscitant un espoir de réformes libérales généralisé. Dans l’une des tours de logements du quinzième arrondissement de Paris, où elle a jadis vécu en tant qu’épouse, Elisabeth peine à partager l’optimisme de sa fille Judith, une militante étudiante. Légèrement insomniaque, elle se plonge souvent dans les débats nocturnes de Radio France, qui donnent son titre au quatrième opus de Hers. Talulah, à l’allure éreintée et punk évoquant 37°2 le matin, incarne également cet esprit de l’époque.
Malgré un bagage professionnel limité en dehors de son diplôme en psychologie, Elisabeth obtient un entretien avec l’animatrice des Passagers de la nuit, Vanda Dorval (une Emmanuelle Béart à peine reconnaissable), grâce à une lettre émouvante écrite en tant qu’auditrice assidue. Vanda, à la prestance discrète, mais au caractère bien trempé, croit en la seconde chance et accepte de superviser Elisabeth dans son travail téléphonique. Une scène cocasse et empreinte de cinématographie met en branle cette nouvelle aventure « immédiatement ». Gainsbourg incarne avec enchantement le contentement inhabituel qu’Elisabeth trouve à faire partie d’une équipe de travail, un sentiment qui perdure des semaines durant, témoignant d’une intégration réussie malgré ses doutes et déceptions passagères.
Tout comme Elisabeth, Talulah, dix-huit ans, nous dévoile son présent, évoquant une vie de nomade fuyant un triste passé familial. Mais son mutisme lors d’une invitation à l’antenne révèle sa réticence à se livrer. Elisabeth, la découvrant assise sur un banc à l’extérieur du studio, l’invite à séjourner temporairement dans un studio aménagé à l’étage, conservé par son mari comme un placard. Pendant ce temps, le professeur de Matthias déplore son manque de concentration, même s’il montre des prédispositions pour l’écriture. Sensible mais désorienté, il est attiré par Talulah tel un papillon vers la lumière. Bien que cette exploration de la jeunesse soit plus terre à terre, tout comme le combat de Talulah contre la drogue l’ayant éloignée de sa famille, les performances restent d’une pureté immaculée, soulignant la générosité d’esprit avec laquelle Hers observe ses personnages, magnifiant systématiquement leurs vertus plutôt que leurs défauts.
Ces qualités transcendantes compensent largement la légère surutilisation des interludes vidéo, dont les changements de ratio semblent parfois arbitraires. Cependant, l’association de ces éléments avec la palette chromatique tamisée et la sensibilité de la photographie de Sébastien Buchmann contribue à évoquer l’atmosphère du Paris des années 80, tout comme la partition synthétique d’Anton Sanko, agrémentée de morceaux de Lloyd Cole and the Commotions, The Go-Betweens, John Cale et autres. Le vrai trésor du film réside dans la manière dont il dévoile la vie intime d’Elisabeth, suivant son émancipation progressive non seulement en tant qu’épouse et mère, mais surtout en tant qu’individu. Sa vulnérabilité demeure, mais sa résilience grandissante la prépare à affronter les aléas de l’existence. Si son passé et son présent ne sont que partiellement expliqués (le mari disparu reste dans l’ombre et le cancer du sein est abordé sans être explicitement montré), l’interprétation éclatante de Gainsbourg offre un portrait riche et nuancé du personnage.
Contrainte de prendre un second emploi pour des raisons financières, Elisabeth trouve un poste à temps partiel dans une bibliothèque, découvrant ainsi un nouveau bonheur dans son rôle productif, tout en suscitant une curiosité amoureuse chez un fidèle lecteur, Hugo, bien que cette histoire d’amour ne soit pas perçue comme une panacée à ses tourments. Les moments charmants se succèdent, de ses échanges complices avec son père à sa première visite au nouvel appartement de sa fille Judith, en passant par la transmission de ses vieux journaux à Matthias, alors aspirant écrivain. La scène mémorable de son anniversaire, où elle danse avec ses collègues de la radio sur le tube Euro disco « I Wanna Discover You » de She Male, illustre sa pleine appropriation de sa nouvelle liberté.
Les Passagers de la nuit s’étire sur plusieurs années de la vie d’Elisabeth et de sa famille, capturant des moments aussi cruciaux que banals avec une observation contemplative mais jamais intrusive. Au terme des deux heures de projection, nous les connaissons tous intimement, grâce au regard empathique mais sans complaisance de Hers.
Les Passagers de la nuit de Mikhaël Hers, 1h51, avec Charlotte Gainsbourg, Quito Rayon Richter, Noée Abita – Au cinéma le 4 mai 2022