[CRITIQUE] Les Olympiades – Regarder les gens s’aimer

Des romances passagères, une ambiance douce-amère et une première en noir et blanc, Les Olympiades semble détonner dans l’œuvre de son auteur qui a pourtant souvent croiser les genres, les approches, parfois au sein d’un même film. Le neuvième film de Jacques Audiard est une adaptation de trois bandes dessinées d’Adrian Tomine, on suit les amitiés et amours d’Émilie, Camille, Nora et Amber Sweet dans le quartier des olympiades à Paris.

Ce quartier est un choix d’adaptation et constitue le cœur du film. Jacques Audiard choisit un Paris différent de ses précédentes œuvres comme De battre mon cœur s’est arrêté et filme ici un quartier à l’architecture très moderne, pour des histoires d’amour, elles aussi, très modernes. Le quartier est connu pour son envergure multiculturelle et le film est fidèle à cette diversité en mettant en scène le parcours de quatre personnages aux origines et inspirations très différentes. Les Olympiades explore des visages très différents, des sensibilités multiples dans ce quartier unique par son architecture et sa très grande activité. Cette exploration se déroule dans une atmosphère beaucoup moins tendue et grave que dans certains des précédents films du réalisateur – il n’y a plus d’aura très pesante qui plane sur tout le film comme dans Sur mes lèvres ou Dheepan. Pour se rapprocher de l’intimité de ses personnages, le cinéaste filme leurs jeunesses, doutes et éclats dans un geste plus suave et envolé. On retrouve cependant le talent de Jacques Audiard pour capter tout et le rayonnement et l’étendue du caractère de ses protagonistes. Le cinéaste réussit à mettre en image la proximité, l’électricité entre eux, bien accompagné par la musique de Rone qui se joint au mouvement de vitalité des personnages et de leurs histoires.

© Neue Visionen Filmverleih

Les Olympiades marque la réunion de trois grands auteurs du cinéma français. Jacques Audiard a écrit le scénario dans un premier temps en compagnie de Céline Sciamma puis dans un second avec Léa Mysisus, scénariste et réalisatrice d’Ava (2017), son très bon premier film. La participation de Céline Sciamma date d’avant même la sortie des Frères Sisters (elle est ensuite partie tourner ses films) et avec ce gap de temps conséquent, il peut être alors difficile de déceler son apport au scénario, mais l’on retrouve une sensibilité assez proche de celle de ces films dans la manière de concevoir un regard très bienveillant envers les personnages ainsi que dans l’importance du désir et de ce regard pour mettre en scène leurs intimités.

Une autre singularité du film est le noir et blanc – il est aussi réussi pour filmer la ville et donne des images inédites de ce quartier et de Paris, que pour filmer l’intimité des personnages. Une grande chaleur se dégage de ce noir et blanc et cette force visuelle se marie parfaitement avec toute la fièvre des personnages. Les Olympiades se veut au plus proche de l’émotion, qui n’est ici pas intériorisée comme elle a pu l’être dans d’autres films de Jacques Audiard. Dans ce quartier unique et très dynamique, le cinéaste resserre l’attention sur ses personnages et parvient à capter leurs sensibilités. Comme dans ses autres œuvres, il filme très proche des corps, mais quitte une proximité souvent brutale pour cette fois ci faire place à une grande douceur et tendresse pour faire vivre ses personnages à l’écran. Il s’attarde sur les regards, sourires, la rencontre des corps, toujours dans un élan très lascif. Le film est rythmé par des scènes de sexe, toutes très charnelles.

© Neue Visionen Filmverleih

Déjà présentes dans De Rouille et d’os, ou très brièvement dans Un Prophète, celles-ci ne sont pas une nouveauté pour l’auteur, mais elles n’ont jamais été aussi importantes dans la narration et fondamentales dans le projet et la conception du film. Jacques Audiard parle de Ma Nuit chez Maud comme une de ses grandes influences pour Les Olympiades (il a d’ailleurs fait jouer Jean-Louis Trintignant dans son premier film, Regarde les hommes tomber, puis dans son second, Un héros très discret). Dans le film d’Éric Rohmer, la séduction entre les personnages se déroule par la discussion et le sexe n’a alors finalement pas lieu. Les Olympiades propose le procès inverse en s’interrogeant sur la manière dont se déploie la passion amoureuse des personnages quand leurs relations se construisent dans un premier temps par le sexe.

Les nombreux moments érotiques du film donnent au sexe une importance fondamentale dans le récit. Il définit premièrement le personnage d’Amber Sweet (Jehnny Beth), cam-girl. Le film réussit d’ailleurs à faire exister ce personnage à travers l’écran par lequel elle est perçue, à établir sa relation avec Nora (Noémie Merlant) tout en faisant exister sa sensualité et sa sexualité. Ces scènes de sexe particulièrement réussies sont centrales pour comprendre les personnages, elles captent leurs personnalités et permettent de suivre le fil de leur désir dans des moments qui mêlent à la fois grande intelligence et beauté délicate.

© Neue Visionen Filmverleih

Les Olympiades met alors une nouvelle forme de romance à l’écran en inscrivant son récit dans une réalité sociale très contemporaine. Jacques Audiard montre comment l’amour, le désir a lieu dans cette époque en dépeignant le parcours des personnages faisant face à des problématiques de leurs âges et de leur temps avec une grande justesse. S’ils ont reçu une éducation, ils peinent à s’exprimer, à trouver leurs voix et le film montre comment ils vont chacun apprendre l’un de l’autre et trouver leur place en suivant leur désir. C’est un autre des talents du film qui parvient à mettre en scène dans un cadre urbain très cosmopolite des personnages aux horizons différents qui se complètent parfaitement en un croisement amoureux très complet sur la pluralité des relations sentimentales. Quelques fulgurances visuelles, par exemple dans des scènes de danse d’Emilie (Lucie Zhang) emportent le film dans un élan de grâce et un mouvement sublime.

Les Olympiades se démarque dans l’œuvre de son auteur, mais s’inscrit pleinement dans la sensibilité et l’intelligence de son cinéma. Jacques Audiard démontre une nouvelle fois son talent pour atteindre une parfaite harmonie entre son sujet et sa mise en scène et réussit un geste éblouissant pour mettre en scène des romances modernes et enivrantes.

Les Olympiades de Jacques Audiard, 1h46, avec Lucie Zhang, Makita Samba, Noémie Merlant – Au cinéma le 3 novembre 2021.

9/100
Note de l'équipe
  • Etienne Pamart
    9/100 Terriblement mauvais
  • Louan Nivesse
    9/100 Terriblement mauvais
    Les Olympiades conclut ses récits entrelacés avec une élégance qui laisse au spectateur un sentiment singulier de tendre béatitude. Œuvre d'Audiard, ce film se distingue de ses pairs par sa saisie saisissante de la nature impétueuse et passionnée des amants en quête d'amour. Indubitablement, le talent d'Audiard trouve ici un écho significatif dans sa collaboration avec Léa Mysius et Céline Sciamma. Les personnages forgés par Audiard, Mysius et Sciamma semblent imprégnés d'une vie authentique, véritablement égarés, contrastant avec la cinématographie soyeuse et onirique en noir et blanc du film. Les images superlativement sublimes de Paul Guilhaume captivent, emportant sans peine le spectateur dans cet univers par ailleurs d'une réalité saisissante. Avec brio, Audiard évite de peser sur le désespoir de ses personnages en écartant le style de tournage désormais conventionnel, secoué et documentaire, souvent utilisé dans les drames. Non, Audiard réussit à travers les performances extraordinaires de ses acteurs à convaincre le public de la dureté de leur réalité, permettant au style visuel du film de demeurer détaché et splendide plutôt que brutal. C'est une œuvre qui éveille le désir amoureux, laissant le spectateur imprégné de ce sentiment à sa sortie.
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