[RETROSPECTIVE] Antichrist – Poule, renard, viscère

Lorsqu’on s’intéresse à la filmographie de Lars Von Trier, on ne peut qu’observer les différents thèmes abordés dans ses métrages. Ces leitmotivs sont intrinsèques à ses films et forment une paire. Que ce soit la spiritualité avec la religion ou, ici, deux thèmes qui nous intéressent particulièrement : la culpabilité et la punition. Ils sont omniprésents dans ses films, les personnages établis sont souvent confrontés à des choix moraux et doivent faire face aux conséquences désastreuses de leurs actions.

Antichrist suit l’histoire d’un couple, joué respectivement par Willem Dafoe et Charlotte Gainsbourg, luttant avec la culpabilité après la mort tragique de leur très jeune enfant. Un moment d’égarement où le plaisir charnel des deux corps entraîne la perte tragique d’un être aimé. Le duo en deuil décide alors de se retirer et d’habiter pendant quelque temps dans une petite cabane au fond des bois d’Eden où ils espèrent guérir de ce mal-être.

© Les Films du Losange

À travers une esthétique visuellement époustouflante et onirique, le film parvient à explorer de manière intense et troublante la culpabilité et la punition. Avec ce récit sombre, Antichrist offre une expérience démesurée qui pousse les limites de l’exploration des émotions humaines les plus inavouables. Lars Von Trier plonge le spectateur dans cette histoire macabre en centrant ce couple au milieu de foules anonymes, faisant d’eux les deux acteurs majeurs de cette descente dans la folie humaine. Il capture avec une brutalité viscérale les tourments émotionnels auxquels chacun doit faire face dans la vie, notamment la perte d’un être cher. La douleur des deux personnages est palpable à travers l’écran, mais ce qui les consume véritablement, c’est la culpabilité. Ils s’infligent mutuellement des punitions physiques et psychologiques. Von Trier dépasse ses limites et offre un spectacle funèbre rempli de violences. Le film présente certaines scènes devenues insoutenables pour le spectateur, illustrant parfaitement ce besoin de punition. La douleur est infligée comme un moyen de rachat et une volonté de se confronter à ses propres peurs. La tension monte à mesure que le film avance, les personnages s’enfonçant toujours plus profondément dans leurs tourments, mettant en lumière la façon dont la culpabilité peut devenir une force destructrice, conduisant à une souffrance qui ne demande qu’à être arrêtée.

Antichrist explore également la notion de punition autodestructrice. Willem Dafoe et Charlotte Gainsbourg se lancent dans des actes de violence extrême, à la fois contre eux-mêmes et l’un pour l’autre, dans une maigre tentative de trouver un sens à leur douleur et de se libérer de la culpabilité qui les ronge. Ces pulsions destructrices sont souvent mises en avant par la présence du sexe. Le réalisateur utilise la sexualité et la violence comme des forces puissantes qui animent les personnages. Les scènes explicites et dérangeantes explorent l’interaction complexe entre le désir sexuel et la douleur, entre Éros et Thanatos. Ainsi, Von Trier explore la dualité de l’existence humaine, où la destruction par le sexe se mêle de manière perverse et troublante.

© Les Films du Losange

Dire que le film n’aborde pas la religion serait un péché. Les références bibliques et mythologiques abondent, soulignant la confrontation des personnages principaux avec leurs croyances et leur relation complexe avec la spiritualité. De la forêt d’Eden souillée par ce couple perverti, non pas à cause de la pomme d’Adam, mais par les remords et la culpabilité, jusqu’aux références explicites à Éros et Thanatos, le film ne cache pas ses références bibliques. Le réalisateur utilise des symboles religieux pour explorer l’intimité, la foi et les conséquences désastreuses de l’accident. La nature, impénétrable et surpuissante, est mise en évidence, comme le montre cette scène où Willem Dafoe se réveille, la main remplie de tiques suçant son sang. Cette punition devient une forme de catharsis, une tentative de se libérer de la culpabilité qui les consume.

Lars Von Trier utilise les couleurs de manière symbolique pour amplifier les émotions et les thèmes du film. Dès le début, le noir et le blanc dominent le cadre, créant un contraste frappant qui souligne les oppositions présentes chez les deux personnages. Le noir évoque la mort, la douleur et la souffrance, tandis que le blanc symbolise l’innocence perdue et la purification. Ces couleurs opposées se mêlent et s’affrontent tout au long du film. La théorie des couleurs est utilisée de manière subtile pour représenter les émotions et les états d’esprit des personnages. Les tons froids, tels que le bleu et le gris, renforcent l’atmosphère macabre et triste qui règne dans l’ensemble du film. Les couleurs vives et saturées sont utilisées pour intensifier les moments de passion et de violence. Mais ce qui frappe le plus, ce sont les différents tons entre les couleurs naturelles et surnaturelles. Le film juxtapose habilement les couleurs authentiques de la forêt et du paysage environnant avec des éléments surnaturels. Les teintes terrestres et organiques évoquent la beauté brutaliste et la connexion avec la nature, tandis que les couleurs plus intenses et irrationnelles sont utilisées pour représenter les moments de folie et de cauchemar. Ce contraste renforce la dualité entre le monde réel et le monde intérieur tourmenté des protagonistes.

Antichrist est un film qui dissimule encore des éléments qui ne demandent qu’à être découverts. Un film difficile à regarder en raison de ses séquences d’une brutalité hors norme et de son message quasi christique. Lars Von Trier n’en est pas à son premier coup d’essai et montre qu’il est l’un des seuls à mettre en scène ce contraste entre horreur et poésie. Willem Dafoe et Charlotte Gainsbourg sont merveilleux dans leurs interprétations perverses. Un cinéma qui aime choquer.

Antichrist de Lars Von Trier, 1h50, avec Willem Dafoe, Charlotte Gainsbourg, Storm Acheche Sahlstrøm – Ressortie au cinéma le 12 juillet 2023 dans le cadre de la rétrospective Lars Von Trier, projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma

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