[RETROSPECTIVE] Melancholia – La fin du monde n’a jamais été aussi belle

Antépénultième œuvre de la filmographie de Lars Von Trier, Melancholia présente au moins le mérite de refléter littéralement son thème à travers son titre. Ce film trouve ses origines dans une période dépressive du réalisateur danois, qui a décidé de la retranscrire au moyen du cinéma en y ajoutant un ton fantaisiste mais aussi poétique. Quant à son histoire, elle mêle états d’âme, mariage et fin du monde, et est portée par les personnages de deux sœurs jouées par Kirsten Dunst et Charlotte Gainsbourg, dont la première tient le rôle central du film. Ce mélange d’éléments d’intrigue pourrait sembler étrange, voire improbable, à première vue, mais en réalité, il ne fait que refléter la réflexion du réalisateur sur son film, qui aboutit à une exécution convaincante de son intrigue. Melancholia est un titre assez populaire pour le réalisateur, et en ne niant pas le lien de causalité entre cette popularité et la conférence de presse profondément ambiguë du film lors de sa compétition au Festival de Cannes en 2011, ce film mérite qu’on s’y attarde.

© Les Films du Losange

Une qualité forte se dessine dès les premiers instants du film, qui nous envahit instantanément. Melancholia possède la particularité, voire la grâce, d’établir une scène d’introduction qui nous happe presque de manière absolue dans une ambiance évoquant clairement le ton totalitaire du film. Pendant huit minutes, nous sommes plongés dans une succession de plans filmés au ralenti, accompagnés du prélude de l’opéra Tristan und Isolde de Richard Wagner, qui constitue en somme le simple prologue de la construction du film. Ce bref fragment du film se démarque fondamentalement du reste, tant par son magnétisme, sa façon de créer des tableaux mouvants que par toute sa conception. Pourtant, nous retrouvons dans ce prologue l’essence même du film. En effet, à première vue, il peut sembler dépourvu de sens, mais a posteriori, on comprend que chaque plan de l’introduction correspond à un moment futur du film. En prenant conscience de cela, le film de Lars Von Trier acquiert une dimension fataliste en nous confrontant à la fin du monde, à la destruction totale de la Terre, dans cette envolée lyrique du prologue de Melancholia. De plus, ces quelques minutes introductives suffisent à révéler toute la singularité du film, dont la suite ne fait que servir l’ambiance et le cadre soigneusement établis.

Le point d’intérêt majeur du film réside dans le paradoxe mis en place tout au long de son déroulement, à travers ses personnages. Après le prologue, le film se divise en deux parties. La première est consacrée à Justine, interprétée par Kirsten Dunst, qui incarne l’essence même du film. Au cours de cette première partie, le film met en lumière les tourments émotionnels auxquels le personnage de Justine est confronté, moments qui définissent dans leur ensemble l’état psychologique qui l’habite. Ces moments de détresse sont en contradiction avec le cadre supposément joyeux du film, qui se concentre sur la célébration du mariage de Justine. Par conséquent, ses états d’âme sont d’autant plus soulignés. Dans la deuxième partie du film, le point de vue se déplace vers le personnage de Claire, la sœur de Justine, interprétée par Charlotte Gainsbourg. C’est à ce moment que l’intrigue de Melancholia atteint son apogée, car l’enjeu de la fin du monde prend place. Le changement de point de vue entre les sœurs bouleverse les axes que nous avions établis lors de la première partie. En effet, nous pensions que Justine était instable et que Claire, sa sœur, la soutenait en apportant de l’ordre face au chaos qu’elle créait lors de son propre mariage.

© Les Films du Losange

Sur ce segment, l’issue incertaine de la fin du monde redistribue les cartes et montre Claire prise de peur et de doutes, tandis que Justine conserve un calme trop soutenu compte tenu de la situation. C’est à ce moment-là que le film dévoile sa force en exposant toute la complexité des sentiments humains et leurs contradictions face aux événements étrangers. Cette approche peut manquer de subtilité, car Lars Von Trier utilise l’issue apocalyptique comme levier de ce paradoxe, mais l’exécution reste néanmoins réussie et appréciable, au regard de l’atmosphère captivante qui règne dans le film. De plus, la mélancolie est exposée sous toutes ses formes, démontrant qu’elle ne se limite pas à la dépression et à la tristesse, mais qu’elle peut également faire preuve d’une certaine lucidité. Le traitement qu’en fait Melancholia se révèle donc pertinent, car il ne se concentre pas uniquement sur une facette de ce sentiment, mais en explore plusieurs.

En définitive, Melancholia présente une belle cohérence tant dans sa forme que dans son contenu, et en découle une certaine richesse, comme en témoigne l’utilisation unique du prélude de Wagner comme référence musicale. Ce film solide est porté par Kirsten Dunst, dont la carrière repose souvent sur l’interprétation de rôles moroses, mais qui est parfaitement à sa place dans ce film. De son introduction à son dénouement, le film bénéficie d’une force d’attraction remarquable, à la fois stimulante et justifiée.

Melancholia de Lars Von Trier, 2h10, avec Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Alexander Skarsgård – Ressortie au cinéma le 12 juillet 2023 dans le cadre de la rétrospective Lars Von Trier, projeté à la 51e édition du Festival La Rochelle Cinéma

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