[CRITIQUE] Les Éternels – Un récit sériel, tueur de temps

Indubitablement, Les Éternels se dresse comme l’œuvre la plus énigmatique, la plus loquace, et la plus excentrique jamais façonnée au sein du Marvel Cinematic Universe. Ce constat révèle, sans doute, la singularité de cette franchise interconnectée, reconnue pour ses récits populaires parsemés de péripéties qui titillent l’imagination des adeptes de bandes dessinées. S’aventurant sur les chemins tortueux de l’histoire humaine et surhumaine, Les Éternels exige un changement, une métamorphose colossale que même les plus fervents admirateurs pourraient peiner à appréhender ou à embrasser. S’entrouvrant avec une solennelle séquence initiale “Au commencement…”, ce film déploie immédiatement les fondations de l’ancienne relation entre les Célestes, architectes de planètes, leurs protecteurs humanoïdes, et l’humanité sans défense sur Terre.

Apparus et mentionnés pour la première fois dans les films Les Gardiens de la Galaxie, les Célestes ont ensemencé le germe de la Terre il y a des millénaires, façonnant ainsi une nouvelle terre. Ils ont également dépêché dix Éternels, immortels et immuables, pour guider l’évolution sociale et technologique de l’humanité, la préservant des créatures déviantes qui menacent l’équilibre cosmique.

À la tête de ces dix êtres d’exception se trouve Ajak, interprétée par la sage Salma Hayek, dotée du pouvoir de communiquer avec le céleste juge Arishem, observateur attentif des progrès terrestres. À travers le temps, des décisions cruciales sculptent le destin des civilisations. Ajak incarne cette autorité avec une crédibilité inébranlable. Entourée d’une cohorte de guerriers unis, chacun doté de pouvoirs surnaturels et d’influences culturelles diverses, elle guide son équipe avec une sagesse inflexible. Certains Éternels demeurent fidèles à leur mission de non-intervention, tandis que d’autres se lient d’affection envers ceux qu’ils protègent. Suite à une scission idéologique lors de la chute de Tenochtitlan au XVIe siècle, où le dernier Déviant fut vaincu, le groupe se dissout. Depuis, ses membres ont intégré la société terrestre, endossant des rôles variés, tels que leaders religieux, stars du cinéma, ou encore scientifiques, chacun portant en lui une appréciation différente de la valeur de la vie humaine et de la foi en l’humanité.

Cette dualité transparaît particulièrement dans la relation entre Sersi, la douce manipulatrice élémentaire, incarnée par Gemma Chan, et Ikaris, le champion volant aux rayons cosmiques, interprété par Richard Madden. Le présent les confronte à de nouveaux défis, tandis qu’une résurgence des Déviants les contraint à reformer leurs rangs. Le casting éclectique des Éternels, mêlant visages familiers et nouveaux venus, incarne une diversité riche en nuances. Parmi eux, des portraits pionniers de super-héros sourds, latinos, coréens, pakistanais, irlandais, et homosexuels, élargissant ainsi l’éventail des représentations à l’écran. Ces choix sont perçus par certains comme des tentatives de conformisme exagéré, mais ils constituent en réalité une progression audacieuse vers une représentation plus fidèle de la société contemporaine.

À mesure que l’épopée des Éternels se dévoile, une profonde quiétude envahit l’auditoire, submergé par la présence harmonieuse et inestimable des acteurs à l’écran, chacun sélectionné pour son talent distinctif. Gemma Chan, en particulier, émerge comme le cœur vibrant et l’âme vibrante, parmi une pléthore de talents convergents. Bien qu’il soit ardu d’accorder une attention individualisée à une multitude de nouveaux personnages, même au sein d’un film long de plus de deux heures et demie, chaque Éternel réclame son moment de pivot, où l’interprète principal transmet avec gravité l’ampleur de l’épopée épique. La réalisatrice acclamée aux Oscars, Chloe Zhao, a suscité des remous parmi les puristes cinéphiles en s’associant à cette superproduction, apportant avec elle sa touche patiente et artistique à ce qui, pour beaucoup, aurait pu sembler des montagnes russes de narration stérile. Son engagement s’avère être un coup de maître pour Disney, une expérience d’une richesse rare, qui ne saurait ternir son ascension naissante ni son prestige dans le firmament cinématographique.

Certes, l’éclat caractéristique des films de super-héros du MCU demeure, orchestré par des effets spéciaux parfois impressionnants mais parfois frisant la banalité, et par des costumes ornés d’artifices numériques souvent kitsch. Néanmoins, le directeur de la photographie, Ben Davis, rompu à l’exercice avec son cinquième projet pour Marvel, tempère le rythme pour se conformer à la cadence patiente de Zhao, capturant avec finesse l’éclat lumineux de l’action et la signature singulière de la réalisatrice, notamment ces jeux de contre-jour sublimes, tel un crépuscule embrasant les décors somptueux des îles Canaries. Cependant, à l’instar de tout bon film du MCU, une teinte grise vient parfois voiler l’éclat des images, accentuant leur manque de relief initial. De même, le compositeur Ramin Djawadi, souvent grandiloquent dans ses partitions, marque une pause, se pliant à la lenteur et à la subtilité chères à la réalisatrice, offrant une bande-son empreinte de délicatesse et de candeur, en parfait accord avec la vision artistique de ce récit hors normes.

La somptueuse fusion des thèmes mythiques constitue l’essence même des Éternels, façonnée par Zhao, le scénariste Patrick Burleigh, ainsi que les cousins Ryan et Kaz Firpo. Ce récit n’aborde pas timidement la singularité de notre planète et de ses habitants dans l’immensité de l’existence, où la transition énergétique à la fin d’une vie ouvre les portes d’un nouveau chapitre. Ces aspirations profondes, liées à l’héroïsme, forment un noyau magnifique, s’éloignant des sempiternelles confrontations manichéennes entre le bien et le mal. Cependant, elles se révèlent être d’une complexité vertigineuse, accompagnées d’un jargon intergalactique qui peut parfois dérouter. Honnêtement, Les Éternels pousse l’imagination de Jack Kirby à un niveau d’exubérance tellement extravagant qu’il en devient presque indigeste. Il est à craindre que certains auront besoin d’un atlas et d’un mentor en sciences sociales pour démêler l’écheveau de cette histoire ancienne, ainsi que d’un scribe pour en consigner tous les détails.

Souvenez-vous des films Transformers de Michael Bay qui ont bousculé et dégradé la légende arthurienne, les extinctions des dinosaures, ou encore les alunissages d’Apollo, téléportant des entités gigantesques en orbite ou les écrasant sur notre planète pour en mettre plein la vue ? Les Éternels semble s’aventurer sur des sentiers similaires. Si Bay a été justement critiqué pour son extravagance, il est probable que la popularité inébranlable de l’univers Marvel épargnera à Les Éternels un sort similaire de dérision généralisée.

Les Éternels, bien qu’il ait suscité d’énormes attentes, se révèle malheureusement être la pire des extravagances cinématographiques dans l’univers du MCU : excessivement long, ennuyeux, avec des personnages dépourvus de profondeur et une intrigue qui semble davantage servir de vitrine pour les futurs opus du mastodonte cinématographique, plutôt que de proposer une narration véritablement captivante. Tel un paradoxe, ce film sur l’immortalité semble étirer le temps jusqu’à l’absurde, rappelant de manière saisissante aux spectateurs leur propre mortalité après près de trois heures d’écoute.

Les Éternels de Chloé Zhao, 2h37, avec Gemma Chan, Richard Madden, Salma Hayek – Au cinéma le 3 novembre 2021

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