[CRITIQUE] La Nouvelle Femme – mauvais témoin

Qu’est-ce qu’un personnage témoin, sinon une figure que vous avez peut-être déjà croisée, voire même chérie par le passé ? Souvent en première ligne, voire en arrière-plan, au cœur d’un récit, tel est son rôle dans un long-métrage. Cet archétype, par sa nature même, vise à nous transporter dans son sillage, à travers ses yeux innocents, afin de mieux appréhender l’univers qui nous entoure. Que l’on songe à Luke Skywalker, sur le point de découvrir l’immensité de la galaxie, à un jeune Vincent Lacoste, fraîchement sorti des bancs de l’école pour plonger dans le métier sérieux de l’enseignement, ou encore à Alice Isaaz, se lançant récemment dans le journalisme d’investigation dans Vivants, chacun de ces personnages incarne cette porte d’entrée privilégiée pour le spectateur dans le sujet du long-métrage.

Le personnage témoin représente souvent la voie la plus directe choisie par le scénariste pour immerger le spectateur au cœur du sujet, au cœur même de l’univers principal exploré dans le film. C’est à travers ce prisme que Léa Todorov souhaite nous sensibiliser à l’importance cruciale de l’éducation Montessori pour nos enfants. Hélas, cette démarche aurait pu être évitée.

|Copyright Geko Films Tempesta

La Nouvelle Femme, premier long-métrage de la cinéaste, nous renvoi en 1900 où Lili d’Alengy (Leïla Bekhti), célèbre courtisane parisienne, a un secret honteux : sa fille Tina est née avec un handicap. Peu disposée à s’occuper d’une enfant qui menace sa carrière, elle décide de quitter Paris pour Rome. Elle y fait la connaissance de Maria Montessori (Jasmine Trinca), une femme médecin qui développe une méthode d’apprentissage révolutionnaire pour les enfants qu’on appelle alors « déficients ». Mais Maria cache elle aussi un secret : un enfant né hors mariage. Ici, Leïla Bekhti incarne notre personnage témoin, celui par lequel nous découvrons l’univers de l’éducation Montessori. Nous partageons ainsi quelques précieux instants en sa compagnie avant sa rencontre avec le médecin éponyme. Nous la voyons passer de la scène de spectacle – l’occasion pour nous de rencontrer le frère de Patrick d’Antoinette dans les Cévennes – à ses aventures avec un homme, tout en étant témoins de sa surprise face au retour de sa fille handicapée, gardée pendant neuf ans chez sa défunte mère.

Dès lors, ce lourd secret pèse sur Lili, et la mise en scène de Léa Todorov devient maladroite, notamment à travers une scène où notre protagoniste, face à un miroir en pleine nuit, découvre le reflet de son enfant semblant grogner derrière elle. Terrifiée et en proie à la colère pendant quelques instants, elle finit par s’enfuir en claquant la porte. L’enfant nous est alors présenté comme monstrueux, telle une freak. Un traitement singulier pour une œuvre censée pourtant promouvoir la méthode Montessori, et donc démontrer un certain respect pour la différence et le handicap. Bien que la scène serve à illustrer la haine et la peur de notre personnage témoin, elle demeure maladroite, ajoutant à la complexité de notre protagoniste et risquant de la rendre antipathique à nos yeux. Une antipathie qui nous saisit et nous accompagne tout au long du récit. Lili dissimule sa fille dès lors qu’une de ses connaissances susceptible de compromettre sa carrière s’approche, et elle implore Maria de la garder en pension, un acte délibéré d’abandon. Même à la conclusion de l’œuvre, bien que nous observions une prise de conscience chez Lili et qu’elle finisse par considérer sa fille, cela se limite à son séjour à l’hospice, entourée de médecins et d’autres enfants handicapés. Nous ne la voyons ni rentrer à Paris ni en parler, son secret demeure donc inviolé. Notre perspective initiale demeure pratiquement inchangée. Par conséquent, nous sommes en droit de nous interroger légitimement : à quoi ce personnage a-t-il servi ? On pourrait tout aussi légitimement affirmer : à rien.

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Le principal problème réside dans le fait que Lili occupe une place considérable dans le scénario, ce qui vient parasiter le récit centré sur Maria Montessori et ses méthodes éducatives. En effet, celui-ci est également perturbé par une sous-intrigue impliquant un enfant caché. Maria se voit contrainte de garder secrète l’existence de l’enfant qu’elle a eu hors mariage avec son compagnon, Giuseppe. Par conséquent, le sujet attendu dans un récit sur Maria Montessori n’est toujours pas abordé.

À la base, et dans ses séquences les plus captivantes, le long-métrage se concentre avant tout sur la méthode Montessori, une approche éducative basée sur l’observation de l’enfant. Il s’agit ensuite de lui proposer des activités et un matériel adaptés à ses besoins personnels et à son rythme, dans un environnement spécialement préparé pour favoriser sa confiance en soi et son autonomie. Léa Todorov comprend parfaitement cela et illustre cette méthode à travers de petites attentions, telles que l’apprentissage de l’écriture avec des lettres en bois et des jeux incitant à la collaboration pour enfoncer les bonnes couleurs. Même lors d’un examen devant des hommes influents ayant financé l’institut, afin de prouver l’efficacité de la méthode chez les enfants dits “déficients”, elle démontre comment ces enfants utilisent des objets pour résoudre des problèmes mathématiques. Ces scènes sont pertinentes et importantes, surtout lorsqu’on constate l’inefficacité de l’éducation contemporaine, fondée sur le “par cœur”, que le ministère et donc le gouvernement persistent à vouloir perpétuer.

Il est donc regrettable de reléguer tout cela au second plan pour traiter d’une relation mère-fille assez embarrassante, d’une femme contrainte de dissimuler son enfant né hors mariage, et d’autres sujets découlant de ces deux trames. On se retrouve désolé devant un film d’époque sans rythme qui n’arrive pas tant à nous captiver par son écriture que par ses images. Alors oui, il y a un côté “girl power” assez vivifiant dans le déroulement et quelques belles scènes, comme celle où Lili joue du piano pour faire danser les enfants. Cependant, tout ce qui est narré à côté du sujet principal prend tellement de place et semble tellement hors-sujet que La Nouvelle Femme devient impertinent, n’effleurant que la surface d’un sujet à explorer davantage. Si seulement Maria Montessori avait été le personnage principal, cela aurait éliminé pas mal de superflu et de frustration.

La Nouvelle Femme de Léa Todorov, 1h41, avec Jasmine Trinca, Leïla Bekhti, Rafaëlle Sonneville-Caby – Au cinéma le 13 mars 2024

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