[CRITIQUE] Un Métier sérieux – Ils manquent de corps tes enseignants

Dans Un Métier sérieux, le réalisateur Thomas Lilti, connu pour ses précédents films et séries explorant le monde médical (Médecin de campagne, Hippocrate, Première Année) aborde le domaine de l’éducation nationale. Malheureusement, en dépit d’un sujet riche en potentiel, des personnages variés et des péripéties intéressantes, le film reste en surface et ne parvient pas à exploiter pleinement son potentiel narratif. Plus spécifiquement, la scène du conseil de discipline, pourtant cruciale, est la seule du film à être véritablement développée jusqu’à sa conséquence, pour le reste on nous laisse sur notre faim quant à l’approfondissement des thèmes et des enjeux du corps enseignant.

Un Métier sérieux déçoit et semble opter pour une approche machinale consistant à assembler des fragments de scènes de la vie quotidienne, mais au détriment de l’exploration profonde des élèves, protagonistes majeurs du monde enseignant. Lilti, en se focalisant presque exclusivement sur le corps enseignant, néglige l’essence même du métier, à savoir la transmission. La camaraderie enseignante est surévaluée, éclipsant les rivalités et les tensions présentes au quotidien. Cette superficialité empêche le film de réellement s’ancrer dans la réalité du métier très sérieux qu’il voudrait dépeindre.

© Les Films du Parc – Denis Manin

Lilti élabore une thèse – pas comme le personnage de Lacoste – curieuse selon laquelle tout enseignant se consacrerait à sa classe par manque d’épanouissement dans sa vie personnelle. Cette vision pessimiste et contestable des enseignants occulte les multiples motivations qui les animent, souvent ancrées dans une réelle passion pour l’éducation et la transmission du savoir. De plus, cette thèse contraste avec la réalité quotidienne des enseignants, qui sont plutôt soumis à diverses pressions et responsabilités en dehors de leurs heures de cours. Sa thèse échoue à capturer la temporalité de l’année scolaire et à préparer adéquatement les enjeux du brevet, donnant l’impression d’une vacuité temporelle. De plus, la préparation au brevet des collèges, un moment crucial dans la vie des élèves, est négligée. Ces lacunes dans le traitement de la temporalité et des enjeux éducatifs contribuent à l’affaiblissement de la narration.

Le conseil de discipline, point central (de la première grosse partie) du film, est pourtant le seul élément développé jusqu’à sa conséquence. Cette scène, qui aurait pu être le cœur d’une réflexion sur le système éducatif et ses dysfonctionnements, est malheureusement laissée en suspens par la suite, privant ainsi le spectateur d’une analyse approfondie des répercussions de ce conseil sur l’élève, sa famille et les enseignants. C’est une opportunité manquée pour aborder les complexités et les enjeux de l’éducation au sein de notre société. Le metteur en scène semble enfermé dans une recherche frénétique de justesse et de naturel, au détriment de l’authenticité des scènes qu’il dépeint. Son obsession pour les détails et micro-motifs de jeu se traduit par une imitation artificielle de la vie. Le film semble être une imitation par mosaïque de détails – l’affiche du film n’est pas anodine, perdant ainsi l’essence même de la réalité qu’il cherche à représenter. Cette démarche donne une impression de paternalisme concerné et de commisération gentillette, réduisant la complexité du métier à des pastilles sociologiques lissées.

© Les Films du Parc – Rémy Grandroques

On a l’impression que le film se sabote lui-même en voulant aborder tous les sujets sans jamais en approfondir un. Que ce soit dans ses intrigues parasites (la romance ambigüe entre les deux professeurs d’EPS, le cours de surf, le baiser entre le personnage de Vincent Lacoste et Adèle Exarchopoulos, la quête d’héritage de Bouli Lanners pour son fils), ou encore son casting exubérant, et surtout la surabondance de personnages aux péripéties introduites mais rapidement oubliées (la jeune Lucie Zhang, la gifle de Louise Bourgoin, la déception et l’expérience de François Cluzet, la dureté du métier de principal), Un Métier sérieux n’est qu’un embouteillage de sujets sur une autoroute qui ne possède qu’une seule voie. Le plus décevant dans tout cela, c’est qu’il est difficile de parler de la profession et donc de l’Éducation Nationale sans avoir un discours politique. Pourtant, Thomas Lilti réussit cet exploit. Résultat : là où le cinéaste gagne en audience, il perd en pertinence.

Un Métier sérieux n’aborde que superficiellement le thème de la transmission du savoir, de la vocation enseignante et surtout du parcours de ses personnages. L’absence de réelle exploration de l’élaboration d’une méthode pédagogique et de l’impact de la transmission sur les élèves est regrettable. L’œuvre tend à traiter que de manière sommaire les difficultés structurelles et hiérarchiques de l’Éducation nationale au profit d’une atmosphère joyeuse.

Un Métier sérieux de Thomas Lilti, 1h40, avec Vincent Lacoste, Mustapha Abourachid, Sylvie Lachat – Au cinéma le 13 septembre 2023.

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