[CRITIQUE] Jawan – Le meilleur blockbuster de gauche

Depuis la sortie de Pathaan début 2023, les blockbusters américains ont inondé les écrans avec leur spectacle grandiose et leurs budgets colossaux. Dans ce contexte, il est parfois rafraîchissant de découvrir une œuvre qui transcende les frontières du divertissement pour aborder des enjeux politiques profonds. C’est précisément ce que réalise Jawan, sous la direction du talentueux Atlee Kumar et avec la star charismatique Shah Rukh Khan en tête d’affiche. Ce film se distingue par sa capacité à harmoniser l’extrême générosité du divertissement avec une réflexion politique, le tout saupoudré d’une touche de patriotisme caractéristique du cinéma indien.

L’INSOUMIS

Le message politique du film est clair, porté par une vigueur de gauche qui place Shah Rukh Khan au niveau de Jean-Luc Mélenchon sur l’échiquier politique. Jawan aborde courageusement les problèmes brûlants de la société indienne, évoquant les suicides des agriculteurs, la corruption des élites, les violences policières, le communautarisme et la crise des hôpitaux publics. Dans un pays où la propagande politique est monnaie courante, Jawan se dresse comme un rempart, utilisant le cinéma comme un moyen de rétablir la vérité. Atlee et Shah Rukh Khan n’hésitent pas à questionner les dérives de la société indienne, défiant ainsi la tendance actuelle du cinéma bollywoodien à l’auto-censure pour éviter les controverses. Ce geste courageux rappelle que le cinéma peut être un vecteur puissant de dénonciation politique et sociale.

De plus, Jawan se démarque par son engagement en faveur de l’émancipation féminine. Dans un milieu où les actrices étaient souvent reléguées au simple rôle de décoration, Shah Rukh Khan a toujours cherché à donner des rôles forts aux femmes de sa filmographie. Cependant, il va encore plus loin ici en plaçant les femmes au cœur de l’action. Le héros, interprété par Khan, est constamment sauvé et soutenu par les femmes qui l’entourent, qu’il s’agisse de Nayanthara, de Deepika Padukone ou du gang de prisonnières. Cette prise de pouvoir féminine insuffle une nouvelle énergie au cinéma indien, mettant en avant des femmes fortes et déterminées.

© Friday Entertainment
TOUJOURS PLUS GROS

L’une des forces les plus remarquables de Jawan est sa capacité à offrir un spectacle généreux qui relègue les superproductions américaines au second plan. Les scènes d’action, réalisées avec une fluidité impressionnante, rivalisent avec les meilleurs films d’action hollywoodiens. Atlee puise dans l’inventaire des blockbusters américains, intégrant des drones, des hélicoptères et des armes à feu lourdes dans le récit. Cependant, ce qui distingue ces séquences d’action, c’est leur ancrage dans la réalité indienne. Par exemple, l’idée ingénieuse de montrer l’un des ravisseurs quittant la scène du crime dans un tuk-tuk ajoute une touche authentique à l’action.

Jawan embrasse avec audace le grandiloquent du spectacle cinématographique. Atlee prend tous les éléments qui font la folie du blockbuster indien et les multiplie par cent. Chaque séquence du film est conçue pour être un événement en soi. Shah Rukh Khan, en véritable superstar, bénéficie de multiples entrées grandioses, capturant l’essence même de la grandeur cinématographique. La séquence avant l’entracte rivalise avec le grand final de n’importe quelle superproduction. Chaque séquence d’action semble être pensée comme un apogée explosif. Le film jongle avec les genres, passant du blockbuster d’action ultraviolent à la romance naïve, du drame familial à la comédie, du polar au film de casse. Cette diversité est le reflet de la générosité du film, qui éblouit par son éclectisme. Jawan est un chaos qui, malgré son apparence déconstruite, demeure cohérent grâce à la maîtrise du montage et du découpage.

Le grand spectacle s’étend sur plus de trois heures sans interruption, offrant une expérience d’une intensité rare. Le film puise dans les codes du masala d’action tout en y apportant une touche d’originalité qui le distingue. Malgré quelques dérapages en fin de parcours, l’expérience est tellement immersive que les spectateurs en ressortent à la fois surexcités et épuisés, conscients d’avoir vécu l’équivalent de plusieurs blockbusters en une seule séance. Jawan repousse les limites du divertissement, réaffirmant ainsi la grandeur du cinéma indien.

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T’AS LA REF ?

L’ouverture du film, située le long des frontières nord de l’Inde, saisit immédiatement l’attention du spectateur. Un soldat blessé se lève tel un messie pour protéger un village idyllique, créant ainsi une iconographie mythique, puissante et sombre. Ce prologue ne révèle pas immédiatement le visage de notre protagoniste, mais ses yeux trahissent ses intentions. Cette scène d’ouverture est une prouesse de mise en scène qui rappelle les œuvres d’Hideo Kojima, le créateur de jeux vidéo japonais.

Jawan est un film qui célèbre l’art du cinéma lui-même. Les cinéphiles de Bollywood et d’Hollywood trouveront leur compte en repérant des références à d’autres films. Atlee joue avec les archétypes cinématographiques, rappelant des personnages tels que le Joker, Darkman, et même Dennis Hopper de Speed. Cependant, les clins d’œil les plus mémorables sont ceux à la filmographie de Shah Rukh Khan lui-même. Ces références subtilement insérées renforcent le lien entre le personnage d’Azad Rathore et le vaste héritage cinématographique de Khan. Ce dernier se démarque dans un rôle de quasi-anti-héros, montrant une facette de sa polyvalence rarement vue.

En somme, Jawan se révèle être une œuvre exceptionnelle qui transcende les attentes du divertissement. Il parvient à jongler habilement entre l’excitation du spectacle et la profondeur de la réflexion. Les dialogues puissants et les scènes d’action exaltantes sont harmonieusement équilibrés par un message politique robuste, faisant ainsi de ce film une expérience complète, capable d’éveiller à la fois nos émotions et notre intellect. Une véritable œuvre d’art qui rappelle que le cinéma peut être un miroir réfléchissant la société tout en nous emportant dans un tourbillon de sensations, faisant de Jawan un témoignage éclatant de la richesse du cinéma indien contemporain.

Jawan de Atlee Kumar, 2h45, avec Shah Rukh Khan, Nayanthara Kurian, Vijay Sethupathi – Au cinéma le 7 septembre 2023

10/10
Note de l'équipe
  • Louan Nivesse
    10/10 This Is Cinema
  • Vincent Pelisse
    9/10 Exceptionnel
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