[CRITIQUE] Iron Claw – De l’autre côté du ring

Discuter en profondeur du Iron Claw de Sean Durkin, une dramatisation de la vie de la famille Von Erich, dont l’influence perdure sur plusieurs générations dans le monde du catch professionnel, s’avère être un véritable casse-tête intellectuel. La célèbre permutation des Von Erich, constituée initialement de cinq frères adultes évoluant dans le monde du catch (réduits à quatre dans le film), principalement au sein d’une promotion basée à Dallas dans les années 80 et 90, détenue de manière autoritaire – et, à noter, bien différente de la prise de catch éponyme – par Fritz, le patriarche de la famille et ancien lutteur chevronné, est au cœur de cette intrigue. L’infâme “malédiction Von Erich”, familière aux amateurs de catch, réside dans les innombrables tragédies qui ont frappé cette famille, ce qui en fait le sujet central de ce long-métrage. Cependant, le défi réside dans le fait que le film semble se dérouler lentement comme un accident de voiture où des malheurs incommensurables s’abattent sur des individus vertueux, et sa puissance réside en grande partie dans l’exploration des pertes et du désespoir sans fin qui en résulte. Les initiés connaissant déjà la prétendue “malédiction” anticipent les événements, et bien que l’approche respectueuse et l’amour investi dans la recréation de cette époque soient appréciables, l’inévitabilité de ces tragédies limite grandement la portée dramatique. Les Von Erich semblent n’avoir jamais eu de chance, et leur destin tragique s’apparente à regarder des agneaux être menés inexorablement à l’abattoir. Pour les non-initiés, le film réserve au moins la surprise.

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Il convient de garder à l’esprit qu’il est préférable de rester dans les grandes lignes. Dès le début, nous découvrons que Fritz (parfaitement interprété par Holt McCallany) façonne l’éducation de ses fils de manière similaire à la lutte pour un titre de champion, avec une hiérarchie en perpétuelle évolution déterminant qui est le favori du moment. L’aîné Kevin (Zac Efron, métamorphosé physiquement avec une coupe de cheveux au carré et une musculature impressionnante, au point que son cou semble se fondre dans son torse) et le troisième fils David (Harris Dickinson de Sans Filtre) se frayent déjà un chemin dans le circuit local, souvent en tant qu’équipe, permettant ainsi au dernier de briller lors des interviews et des angles promotionnels avant et après les combats. Le frère du milieu, Kerry (Jeremy Allen White, également transformé physiquement), se prépare pour les Jeux olympiques d’été de 1980 en tant que lanceur de disque, mais le boycott américain des jeux met fin à ses aspirations, et rapidement, les trois frères Von Erich forment une tag-team1. Enfin, le cadet, Mike (Stanley Simons), plus calme et plus petit que ses frères, préfère jouer de la guitare plutôt que de se battre sur le ring, mais lui aussi sera contraint de prendre part aux combats, poussé par l’insistance de Fritz. Pendant ce temps, la matriarche Doris (Maura Tierney) connaît sa place, veillant à ce que les garçons soient bien nourris et respectueux, mais en ce qui concerne ce qui se passe sur le ring, c’est strictement le domaine de Fritz.

Fritz se révèle être la figure dominante dans Iron Claw, ce qui s’explique en partie par le fait que le récit cache subtilement une histoire de “mauvais père”. La prise de l’iron claw, brevetée par Fritz et transmise à ses enfants, consiste à serrer un adversaire autour des tempes et de la mâchoire, exerçant une pression telle que le destinataire est contraint de se soumettre, une métaphore habile de son approche éducative. Fritz privilégie la dureté et la brutalité, considérant ses fils principalement comme des instruments pour bâtir son empire de la lutte. Il adopte une philosophie du “prochain homme en place”2, particulièrement déplaisante lorsque les tragédies commencent à frapper la famille à des intervalles semi-réguliers. L’incapacité de Kerry à participer aux Jeux olympiques de Moscou nécessite presque des excuses personnelles pour avoir déçu son père, ce qui est rapidement exploité par Fritz pour recruter un autre spécimen physique dans sa troupe de performeurs. Lorsque Kevin fléchit temporairement sur le ring après une blessure aux côtes lors d’un combat, Fritz n’hésite pas à élever David, son deuxième fils favori, au-dessus de son aîné en tant que prétendant au titre de champion numéro un. Chez les Von Erich, la frontière entre les affaires et la famille est floue, et le bien-être de la promotion prime toujours sur celui des fils de Fritz.

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Contrairement à The Wrestler de Darren Aronofsky ou au récent Cassandro, Durkin met en avant les aspects mythiques du catch professionnel plutôt que de dévoiler les coulisses du monde des combats et du kayfabe (c’est-à-dire, la reconnaissance que le sport est mis en scène et que les gagnants et les perdants sont déterminés à l’avance par les promoteurs). Lors d’un premier rendez-vous avec sa future femme Pam (Lily James, incarne parfaitement la gentillesse typiquement américaine), Kevin s’indigne lorsque l’on suggère que la lutte est truquée, établissant une analogie entre la victoire dans les combats et la promotion au travail en fonction de la performance. Les combats se transforment régulièrement en violence non chorégraphiée, et la nature scénarisée des affrontements est souvent mise de côté. Fritz encourage même ses fils, en particulier Kevin, à ne pas remporter les combats de manière convaincante ou à ne pas ignorer les blessures débilitantes, comme s’ils avaient un réel contrôle sur la situation, ce qui rappelle la situation de Kerry et les Jeux olympiques. Au lieu de cela, nous assistons à des présentations expressionnistes de combats aériens, où les foules disparaissent dans l’obscurité et où la sueur plane lourdement dans l’air (une influence visuelle marquée de Raging Bull est perceptible). Durkin bénéficie du talent d’acteurs qui, en plus de leur musculature, se sont visiblement investis dans l’entraînement sur le ring, permettant au biopic de présenter des combats prolongés avec peu d’interventions de cascadeurs. L’athlétisme et la cinétique sont palpables, les acteurs se lançant véritablement dans l’action et s’élancent depuis les coins du ring, contribuant ainsi à brouiller les frontières entre réalité et fiction.

Le feu et la détermination de satisfaire le public imprègnent le long-métrage, le distinguant du reste de la filmographie de Durkin. Contrairement à ses précédents films tels que Martha Marcy May Marlene et The Nest, caractérisés par leur froideur et leur nature elliptique, Iron Claw opte non seulement pour la sobriété, mais atteint même une dimension émotionnelle poignante dans sa conclusion. De nombreuses scènes montrent les Von Erich jouant au football sur le ranch familial sous le soleil brûlant du Texas, savourant du barbecue et participant à des festivités typiquement américaines, éludant ainsi les réalités plus sombres et les sacrifices consentis pour gagner leur vie. Les démons intérieurs des Von Erich demeurent présents, finissant inévitablement par prendre le dessus. Toutefois, tout comme les garçons n’oseraient jamais confronter directement Fritz, le film adopte une approche indirecte pour explorer l’automédication et le comportement autodestructeur, des éléments malheureusement courants dans ce milieu. L’idée la plus audacieuse de Durkin consiste à reléguer toutes les tragédies hors de l’écran, se concentrant plutôt sur les conséquences désorientantes et la prise de conscience poignante que plus rien ne sera jamais pareil. Cette approche s’avère particulièrement efficace lors du traitement de l’accident de moto traumatisant de Kerry en 1986, évoqué de manière marginale jusqu’à ce que sa véritable gravité soit enfin révélée en détail.

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Cependant, Durkin ne parvient jamais à démontrer que les Von Erich sont des personnages captivants en raison de leur identité ou de leurs réalisations. Ils suscitent plutôt l’intérêt en raison des tragédies inexplicables qui les ont frappés. Iron Claw est, avant tout, une tragédie avec un grand “T”, mettant en scène des fils désireux de prouver leur valeur à un père insatisfait, peu importe les sacrifices consentis. Cependant, les garçons Von Erich semblent fondamentalement insondables et inachevés. Kevin est le personnage le plus développé de l’ensemble, mais il demeure difficile de saisir pleinement leur personnalité, comme si celle-ci n’avait pas pu évoluer en parallèle de leur musculature. Leur aspiration principale était de lutter et de rendre leur père fier, une tragédie en soi. La perte d’innocence et de potentiel inexprimé en raison du poids accablant des attentes irréalistes éveille la compassion, mais mérite une réponse plus nuancée que la simple attribution à la “masculinité toxique”.

Iron Claw de Sean Durkin, 2h13, avec Zac Efron, Harris Dickinson, Jeremy Allen White – Au cinéma le 24 janvier 2024


  1. Groupe composé de deux catcheurs – ou plus – travaillant en équipe. ↩︎
  2. Dans le domaine sportif, l’expression “prochain homme en place” renvoie à une équipe véritablement unie, dans laquelle un joueur peut être remplacé par un autre de manière fluide. Dans cette configuration, l’équipe ne repose pas sur des vedettes individuelles, mais plutôt sur un effort collectif où le succès ou l’échec dépendent de l’ensemble de l’entité. ↩︎
8/10
Note de l'équipe
  • Louan Nivesse
    8/10 Magnifique
  • Alexei Paire
    7/10 Bien
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