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[CRITIQUE] En plein feu & Goutte d’or – Les flammes de l’ardeur

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Par Louan Nivesse

En plein feu, Quentin Reynaud

Dans deux heures, nous serons de retour. Difficile pour Joseph (André Dussollier) de prendre au sérieux les consignes d’évacuation imposées par la police. Même si le feu reste invisible, il doit partir avec son fils Simon (Alex Lutz), venu l’aider à quitter sa maison dans un village des Landes. Sur la route, les deux hommes, poliment agacés l’un par l’autre, se retrouvent pris dans des embouteillages géants, qui se rapprochent peu à peu du brasier. Avec 5ème Set, Quentin Reynaud offrait une superbe partition à Alex Lutz en joueur de tennis professionnel vieillissant, prisonnier du fantasme de voir revenir sa brève heure de gloire. Avec En plein feu, toujours centré sur l’acteur, la proposition semble plus nébuleuse. Fuite désespérée du héros au cœur d’un film catastrophe ? Récit métaphorique d’une errance psychologique ? C’est au spectateur de faire son propre choix, estime le cinéaste, car il ne peut décider pour lui-même.

Une longue partie se déroule dans le véhicule où le père et le fils tentent d’échapper à l’incendie, renouant ainsi des liens peu solides. André Dussollier et Alex Lutz semblent se débattre avec des dialogues plats et une action paradoxalement minimale. Certes, Quentin Reynaud sait créer une atmosphère forte malgré des moyens manifestement limités (de l’incendie, on ne verra que la fumée, les bulletins d’information à la radio décrivant l’invisible). De plus, En plein feu erre comme Simon dans une géographie incompréhensible. Entre fausses pistes et divagations, selon la manière dont on regarde le film, la tragédie de Simon et la culpabilité qui l’a coupé de son propre fils surgissent à travers des flashbacks. Prémonitoire, ce long métrage a été écrit avant les gigantesques incendies qui ont ravagé les Landes à l’été 2022, signes d’un changement climatique en cours. Mais ici, ces phénomènes climatiques extrêmes ne semblent être qu’une toile de fond pour aider Simon à résoudre ses traumatismes passés.

Note : 2 sur 5.

En plein feu de Quentin Reynaud, 1h25, avec André Dussollier, Alex Lutz, Sophie Parel – Au cinéma le 8 mars 2023.


Goutte d’or, Clément Cogitore

Artiste plasticien et réalisateur atypique, Clément Cogitore navigue depuis plusieurs années entre musées et cinémas, installations vidéo, documentaires et fictions. Mais c’est vers cette dernière forme qu’il se dit aujourd’hui le plus attiré. Après Ni le ciel ni la terre, film inclassable sur la guerre en Afghanistan et sa menace invisible, son deuxième long métrage, Goutte d’or, prend ce quartier parisien comme territoire de fiction. En documentariste aguerri, il en explore la topographie, des chantiers d’urbanisation de la porte de la Chapelle aux squares où échouent de jeunes mineurs marocains survoltés, en passant par le métro aérien sous lequel se croisent trafiquants de cigarettes, dealers et autres marabouts.

C’est à cette dernière qu’il s’intéresse dans ce film aux allures de thriller avec le personnage de Ramsès (Karim Leklou), faux magicien et vrai escroc, qui monnaye ses prétendus talents de médium dans son “cabinet” ou dans des salles louées pour l’occasion lors de séances de groupe à visée cathartique. L’arnaque est bien rodée. À la lueur des bougies, dans une atmosphère de recueillement qui contraste avec l’agitation extérieure, les clients sont délestés de leur téléphone portable dans lequel Ramsès trouve toutes les informations utiles à ses séances. Et il se révèle plutôt doué pour repérer les blessures des survivants et leur apporter le réconfort dont ils ont besoin. “Ce sont des petits spectacles, quand les gens sont contents, ils reviennent”, justifie-t-il lorsque son succès vient perturber le paisible commerce des marabouts africains, jusqu’alors détenteurs du monopole de la voyance dans ce quartier. Mais les ennuis commencent lorsqu’une nuit, une véritable vision lui permet de retrouver le corps d’un de ces jeunes garçons de Tanger, rencontré dans son immeuble, et qui a depuis mystérieusement disparu. Soupçonné par la police d’être l’assassin, il n’a d’autre choix que de prouver son innocence.

Clément Cogitore joue avec les codes du roman policier tout en y mêlant un réalisme social et une dimension métaphysique. Un mélange des genres inattendu qui produit cette atmosphère si particulière et si émouvante. Car si tout est mensonge dans le business de Ramsès, l’empathie qu’il éprouve à l’égard de ses semblables est bien réelle. Prospérant sur le commerce de la misère, il entretient une souffrance qui ne trouverait d’autre exutoire que celui de la violence. Les images tournées, caméra à l’épaule, restituent toute l’énergie vibrante de la ville. Quant à Karim Leklou, saisissant dans ce rôle ambivalent de truand habité, il s’est affirmé depuis quelques films (Bac Nord, Pour la France) comme l’un des acteurs les plus intéressants de sa génération.

Note : 3.5 sur 5.

Goutte d’or de Clément Cogitore, 1h38, avec Karim Leklou, Jawad Outouia, Elyes Dkhissi – Au cinéma le 1 mars 2023.

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