[CRITIQUE] Élémentaire – De l’amour et des flammes chez Pixar

L’on ne peut pas dire que Pixar traverse ses heures les plus heureuses. Après avoir dû se restreindre au streaming pendant deux ans, enchaîné à la plateforme Disney+, le studio d’animation est revenu profiter des salles l’année dernière pour Buzz l’Éclair, un film dont l’échec commercial a indirectement conduit au licenciement de son réalisateur et a imposé à Disney quelques restructurations. Les producteurs de Toy Story retentent aujourd’hui le passage au cinéma avec une nouvelle cartouche animée les faisant reprendre le chemin de la comédie romantique, un genre qu’il n’avait plus emprunté aussi frontalement depuis le bouleversant WALL-E, en 2008. Dans Élémentaire, ce ne sont plus deux adorables robots qui en pincent l’un pour l’autre mais deux éléments sur pattes qui se retrouvent à faire équipe pour remplir une double mission : réparer une fuite d’eau aux conséquences potentiellement dramatiques et raviver la flamme du studio, éteinte suite à ses derniers déboires artistiques.

Après Le Voyage d’Arlo, son premier format long pour l’entreprise à la lampe, Peter Sohn choisit alors de revenir aux bases du conte pixarien, en évaluant ses protagonistes à l’aune de leur inconfort au sein d’un espace étranger, quasi-hostile, et en se penchant sur leur capacité d’adaptation. C’était l’histoire de Nemo jeté dans un aquarium, de Buzz et Woody à l’extérieur de la chambre d’enfant, de Flash McQueen coincé à Radiator Springs, et tant d’autres. C’est ici celle de Flack et Flam se frottant à la mégalopole d’Element City, une ville où l’eau, la terre et l’air vivent en harmonie mais où le feu inspire la méfiance. Si lui, le garçon aquatique, est familier des lieux puisque issu des beaux quartiers, elle, la fille de braise, ne s’est jamais éloignée de la boutique familiale, située en périphérie. Une base dramatique somme toute convenue, celle d’un amour impossible entre deux êtres en parfaite opposition – jusqu’au niveau moléculaire –, que le studio enjolive en explorant la dimension allégorique de la forme.

Tout feu, tout flaque.

On le sait : la renommée de Pixar s’est construite autour de l’épaisseur de ses récits, systématiquement molletonnés de doubles-sens et d’allusions, s’ouvrant à tout profil de spectateur. Pour Élémentaire, Peter Sohn puise dans son histoire personnelle et familiale. Fils d’immigrants coréens débarqués dans le Bronx, aujourd’hui marié à une américaine, le réalisateur recompose ses origines en ayant recours à l’hétérogénéité des éléments, distingués par leur couleur et les réactions chimiques qu’ils engendrent – l’eau mouille, le feu brûle. Quant au cadre géographique dans lequel Sohn inscrit ses héros, l’unique et pharamineuse Element City, elle n’est autre que la réflexion du New York pluriculturel dans lequel a grandi le metteur en scène. La forme abstraite, douce, de ses personnages pourrait quelque peu alléger la parabole, mais cette représentation semi-simplifiée n’enlève rien à la rudesse du parcours migratoire que rapporte le script, facturé en sacrifice et ségrégation, et dont la douleur se transmet de génération en génération.

C’est sur ce point que le long-métrage se montre le plus persuasif, notamment pour son premier degré et son refus d’ironie. Élémentaire paraîtrait presque ringard, à contre-courant, tant le film abdique la référence sarcastique, se prive de prise de recul et embrasse ses sujets avec une naïveté désarmante. L’émotion naît de là, de cette croyance en la simplicité de ses concepts (narratifs et esthétiques), de l’évidence et de la pureté de ses protagonistes, de cette magie disséminée dans les dialogues, les motifs musicaux et l’animation, combinaison trouble de photo-réalisme et d’effets cartoonesques. Elle vient aussi de ce couple mal agencé autour duquel tourne l’intrigue, de leurs états d’âme déformant leur silhouette, de leur empreinte crédible sur l’autre, de leur antinomie changée en complémentarité. Alors, si l’ensemble sent le réchauffé, que la fin est précipitée et que l’humour tombe régulièrement à l’eau, Pixar n’en ressort pas vaincu. De ce petit bout d’animation émane une lueur que ses concurrents ne sauraient imiter, une authenticité qui pourrait servir de plus grandes histoires.

Élémentaire de Peter Sohn, 1h42, avec Adèle Exarchopoulos et Vincent Lacoste – Au cinéma le 21 juin 2023

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