[CRITIQUE] Dune – “Ce n’est que le début”

Initialement prévu pour une sortie en 2020, reportée à maintes reprises en raison de la pandémie, Dune occupe depuis plus d’un an une place centrale dans les préoccupations cinématographiques, et ce, à juste titre. Depuis l’adaptation de David Lynch et la mini-série télévisée imparfaite de l’an 2000, ainsi que la tentative avortée de Jodorowsky, les fervents admirateurs des romans magistraux de Frank Herbert attendent avec impatience qu’un cinéaste transpose Dune sur grand écran, en préservant l’ampleur et la profondeur d’une œuvre qui demeure l’une des sagas les plus chères et influentes de l’histoire de la science-fiction. Sous la houlette du maître conteur Denis Villeneuve (à qui l’on doit Premier Contact et Blade Runner 2049), bénéficiant d’un casting exceptionnel et d’une équipe de créatifs comprenant le compositeur Hans Zimmer, le directeur de la photographie Greig Fraser, le décorateur Patrice Vermette, le monteur Joe Walker, ainsi que les superviseurs des effets visuels Paul Lambert et Gerd Nefzer, tous lauréats d’Oscars, il n’est guère surprenant que Dune ait suscité l’enthousiasme et se soit avéré à la hauteur des attentes. Si ce dernier opus de Villeneuve ne satisfait pas entièrement sur le plan narratif, il demeure indubitablement la meilleure adaptation du roman à ce jour, tout en étant une prouesse technique qui mérite d’être visionnée sur le plus grand écran qui soit.

Situé à des milliers d’années dans le futur, Dune explore une histoire riche en thèmes et se déroule dans une société interstellaire où différentes civilisations s’affrontent pour s’approprier “la substance la plus précieuse de l’univers”, une ressource naturelle rare et convoitée, dénommée l’Épice, dont les répercussions touchent aussi bien les voyages spatiaux, le commerce, le savoir que l’existence même de l’humanité. Cet univers, complexe et foisonnant de planètes, abrite des habitants aux motivations et objectifs divers. À titre d’exemple, la planète aride d’Arrakis, terre d’extraction de l’Épice, se révèle inhospitalière en raison d’éléments tels qu’une chaleur étouffante, des tempêtes de sable incessantes et des créatures redoutables appelées “vers des sables”. Sur Arrakis vivent les Fremen, une civilisation humaine autochtone imprégnée de spiritualité, ainsi que de riches “oppresseurs” envoyés par l’empereur pour exploiter la planète. Au début, un décret impérial confère au duc Leto de la maison des Atreides, originaire de la planète Caladan, le statut de nouveau gouverneur d’Arrakis, provoquant ainsi des tensions avec les Harkonnen, les anciens occupants de la planète, et rivaux des Atreides. Sous la direction du Baron Harkonnen, déterminé à reconquérir Arrakis, ces anciens colons complotent pour évincer le duc Leto et sa famille, composée de la concubine du duc, Lady Jessica, membre du Bene Gesserit, un ancien ordre religieux de femmes dotées de capacités mentales et physiques surhumaines, et de leur fils, Paul Atreides, destiné à sauver l’univers et à façonner l’avenir de l’humanité.

Cette brève présentation ne rend que partiellement compte des subtilités de l’univers, une réalité peuplée d’une pléthore de personnages et explorant divers thèmes, de la religion à la politique, en passant par les enjeux environnementaux. L’intrigue suit le parcours initiatique d’un jeune homme à la découverte de son identité, ainsi que sa quête destinée à lutter contre des forces puissantes et insaisissables. Ce monde complexe et peuplé de personnages, de lieux et de terminologie énigmatique, fut l’un des écueils des adaptations précédentes, dont celle de David Lynch. En effet, le manque initial d’explications concernant la nature de l’Épice et le rôle des personnages pouvait compliquer la compréhension pour les non-initiés. Toutefois, Dune relève ce défi avec brio. Les co-scénaristes Denis Villeneuve, Jon Spaihts et Eric Roth intègrent judicieusement les informations dans le récit, offrant ainsi au public une compréhension immédiate des éléments essentiels de cet univers captivant. Cependant, malgré son pouvoir d’absorption et son intrigue intrigante, le film souffre parfois d’un rythme lent et d’une action insuffisante.

En tant que fervent adepte des romans, le compositeur Hans Zimmer a toujours nourri le rêve d’offrir sa musique à une adaptation de Dune. Lorsque l’opportunité s’est présentée, il a su relever le défi avec brio, créant une partition inoubliable et immédiatement iconique qui confère au film une identité distinctive, tout en le rendant plus immersif et émotionnellement touchant. Ses compositions subliment même les scènes d’action, utilisant des notes sombres et inquiétantes pour accentuer la tension et donnant aux moments de méditation et de contemplation une dimension d’autre monde grâce à certaines notes évocatrices. La palette visuelle désaturée qui caractérise Arrakis offre des moments de beauté et de sérénité, contrastant avec les scènes d’action. Les visions mystiques de Paul, reflétant son état mental et son avenir incertain, sont également magnifiquement rendues. Toutefois, il est dommage que ces visions, bien que fascinantes, ne fassent que nous donner un avant-goût de la suite, tout comme le marketing du film a exploité cet élément pour promouvoir cette première partie.

Timothée Chalamet incarne le personnage de Paul avec une confiance remarquable, dépeignant un individu en constante évolution qui tente de maîtriser les forces intérieures qui l’animent. Il donne vie au rôle en y injectant une émotion brute aux moments opportuns. La dynamique entre Chalamet et Rebecca Ferguson, qui incarne Lady Jessica, est indéniable, leur alchimie se révélant palpable à l’écran. Ferguson excelle dans un rôle complexe, illustrant les conflits constants qui animent son personnage, partagée entre ses devoirs de sorcière et de mère, et transmettant une sagesse forgée par une vie riche en expériences. Les performances du reste du casting contribuent également à enrichir leurs personnages respectifs : Oscar Isaac touche en Duke Leto, Javier Bardem insuffle à Stilgar, le chef Fremen, une passion, une gravité et une puissance brute, Zendaya attire l’attention malgré son mutisme quasi constant, Stellan Skarsgård terrifie en Baron Harkonnen, et Dave Bautista et Josh Brolin impressionnent dans leurs rôles respectifs.

En quittant la projection lors du Festival de Deauville, j’ai été fasciné par la qualité technique, que ce soit au niveau des images ou des performances exceptionnelles qui rendent le film si captivant et immersif. Cependant, j’ai ressenti un certain manque, principalement lié à la structure narrative du film. Il n’est un secret pour personne que le réalisateur aspire à une suite, mais il est difficile de ne pas remarquer que Dune serait incomplet s’il devait rester un film autonome. En effet, l’intrigue centrale demeure non résolue à la fin, laissant une impression d’inachevé et de frustration quant aux réponses et à la résolution attendues. Seul le temps nous dira si il évoluera au-delà de cette première partie. C’est également dommage que cette adaptation fidèle des écrits de Herbert ait restreint la liberté d’expression de Denis Villeneuve, qui aurait pu apporter une touche plus personnelle à l’œuvre. Un artisan aurait pu accomplir la même tâche, ce qui est regrettable. Nous attendons donc avec impatience la deuxième partie du dytique, Dune : Deuxième Partie, en espérant qu’elle comblera les immenses lacunes de cette première partie, tout en nous offrant un dénouement digne de cet univers fascinant.

Dune de Denis Villeneuve, 2h36, avec Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac – Sorti le 15 septembre 2021, de retour au cinéma dès le 7 février 2024

9/10
Note de l'équipe
  • JACK
    9/10 Exceptionnel
    Denis Villeneuve adapte l'inadaptable avec Dune. Conflits politiques et économiques, héritage et prophétie : le blockbuster passe en revue l’essentiel pour propulser ses suites. Un chapitre de science-fiction historique, bavard et démesuré.
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